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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/397

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l’esprit, du trait et une extraordinaire puissance d’assimilation.

Mettez une fille du peuple à la table la plus sélect : elle regardera, suivra les mouvemens de chacun, les répétera adroitement, et bientôt elle mangera selon vos principes. Elle est naturellement polie, jamais honteuse ; elle se croit volontiers à sa place partout. Elle est née dame, et son costume élégant ajoute à ses charmes. Elle n’est point romanesque, ni vicieuse ; mais elle aime les galans propos, et la liberté est très grande entre garçons et filles, sans beaucoup d’inconvéniens.

La langue birmane est gracieuse ; elle est rythmée à trois tons ; les nuances sont infinies, elle a vingt nuances pour exprimer une même idée, là où nous en aurions quatre, tout au plus. On y peut dire les plus jolies choses, et les plus risquées, dit-on, sans choquer les convenances. Un vieux Français, oublié en Birmanie, me disait que s’il lui était donné de redevenir jeune et de vivre en France, il n’aurait qu’un seul regret, celui de ne pouvoir faire, en birman, la cour aux Parisiennes.

La Birmane est très positive, elle a peur du scandale et ne se laisse séduire qu’à bon escient. Un jeune Russe de distinction, de passage en Birmanie, s’était épris à la folie d’une jolie servante. Il serait resté près d’elle des mois, et peut-être toute sa vie ; mais, rappelé par son empereur, il lui fallait partir le lendemain. Il fait demander à la jolie fille, en lui offrant une grosse somme, de venir le visiter. Elle n’hésite pas à répondre que le Russe lui plaît. S’il était resté des mois à Mandalay, elle serait venue, heureuse, vivre avec lui ; et, selon la loi birmane, quand il serait parti, elle aurait été sa femme. Mais, si elle venait chez lui un jour, elle serait perdue, déshonorée pour toujours et, dût-il lui donner 1 000, ou 100 000 roupies, elle ne viendrait à aucun prix.

Comme bien des filles d’Europe, peut-être, la Birmane calculera quel sera l’épouseur qui donnera les plus beaux présens ; à cette différence près que les présens, somme d’argent ou autre chose, ne seront pas pour elle et resteront à sa famille. Dans son union avec l’Européen, c’est presque toujours le profit qui la décide ; les parens ont d’ailleurs une grande autorité sur leurs filles. Une liaison pour eux est un mariage, bien que provisoire. Si l’Anglais a offert à la mère des présens assez nombreux : « Je vous la donne, » dira-t-elle, et la fille n’aura qu’à accepter le marché.

L’Anglais si réservé, si prudent, si dédaigneux de l’indigène