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L’un après l’autre et très gravement viennent boire,
Une flamme sereine en leurs yeux sans courroux.

Vers le miroir que nul vent brusque n’effarouche,
Où dorment étalés les larges nénuphars,
Tandis qu’à l’horizon gagnent les tons blafards,
Ils viennent le front haut et l’écume à la bouche.

Chacun d’eux, à travers les fragiles roseaux
S’avance puissamment dans l’eau claire qu’il trouble ;
Et l’onde réfléchit le corps massif et double.
Et des gouttes d’argent ruissellent des naseaux.

Chacun hume à longs traits la fraîcheur et la vie
En contemplant le doux paysage connu ;
Puis le troupeau s’en va comme il était venu,
D’un pas majestueux qui jamais ne dévie.

Avec la vision des pacages lointains.
Et de tendres regards pour la moindre chaumine.
Jusqu’au tiède repos de l’étable il chemine,
Dans la rusticité des primitifs instincts.

Et, plein d’un sentiment si profond qu’on l’ignore,
Par instans, l’un des bœufs, voyant l’ombre grandir
Et des feux s’allumer du Zénith au Nadir,
Pousse vers l’ample nuit un beuglement sonore.


LA MORT DU BŒUF


L’un des deux compagnons est mort, et l’autre pleure,
Et le soc inactif se rouille, et les vallons
Ont retenti d’échos douloureusement longs,
Et comme un glas discret, par instans, sonne l’heure.