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point… Le tour de la porte était par le dehors à la rustique, et pendaient des festons de coquille rattachés en quatre endroits, finissans auprès de la tête des deux Termes. Le dedans de la voûte était en pointe de rocher, qui semblait en plusieurs lieux dégoutter le salpêtre. » Les parois de l’antre étaient « enrichies d’un grand nombre de statues, qui, enfoncées dans leurs niches, faisaient diverses fontaines, et toutes représentaient quelque effet de la puissance de l’Amour. » Un tombeau « garni de tableaux » et d’ornemens en marbre de couleur s’élevait au milieu de la grotte.

Autant que possible, les arbres étaient taillés et tordus pour leur faire représenter ceci ou cela. Les fleurs des parterres formaient de savans dessins de broderie. L’intervention constante et illimitée de l’homme avait abouti à une nature absolument factice, « précieuse » à la façon des « fausses Précieuses. » L’Astrée en avait consacré la mode par ses descriptions, empreintes d’une admiration sans réserves. Il fallut Le Nôtre pour ramener un peu de simplicité dans nos jardins et les débarrasser des inventions les plus saugrenues, et ce ne fut pas sans causer des regrets aux personnes qui avaient accoutumé de demander à un paysage le même genre de beauté et d’amusement qu’à un décor d’opéra. La Grande Mademoiselle trouvait Chenonceaux incomplet et comme inachevé, parce qu’on avait eu, par extraordinaire, le bon goût de respecter le cadre charmant que lui a fourni la nature. Elle était en peine de s’expliquer la réputation de la Provence, qui lui paraissait « assez vilaine. » Elle séjourna un mois à l’entrée des Pyrénées sans avoir la curiosité d’y mettre le pied. Mais elle ne se lassa jamais d’admirer les joujoux prétentieux dont les architectes paysagistes de l’école italienne avaient encombré nos jardins et nos bois, et c’est d’Urfé qui en est responsable ; il lui a manqué, parmi tant de goûts nobles et bienfaisans qui ont fait de l’Astrée « un livre de haute portée, presque un grand livre[1], » d’aimer le naturel et la simplicité. Ce fut d’autant plus fâcheux, que les continuateurs de son œuvre sociale étaient destinés à accentuer ses défauts, ainsi qu’il arrive presque toujours. Les Précieuses, par exemple, même « les vraies, » n’ont pas su séparer le bon grain de l’ivraie, en prendre et en laisser dans l’héritage de l’Astrée. Elles ont précipité la révolution dont Honoré d’Urfé avait été le prophète, et

  1. Montégut, loc. cit.