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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/334

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par la complication des formes qui est inintelligible aux profanes, par ses mœurs enfin qui portent l’empreinte d’une vie intensément corporative, ce monde passe pour étrange et secret. On le connaît peu. Ce n’est pas assez dire : on le connaît mal ; les personnes qui ont eu des procès, n’en gardent pas bon souvenir ; qu’elles aient gagné, elles n’oublient ni leurs inquiétudes, ni les lenteurs de l’attente, ni que l’avocat de l’adversaire a pu les traiter durement ; qu’elles aient perdu, à tous ces ennuis s’ajoute la rancune d’une sentence que, bien entendu, elles trouvent injuste, et qui les atteint dans leur amour-propre ou dans leur fortune. La justice de l’ancienne France portait au plus haut degré ces dispositions du justiciable par l’extrême complication et les frais énormes qu’elle imposait aux plaideurs.

Il n’est pas surprenant que la littérature ait reflété ce sentiment du public. Des hommes de robe, elle n’a vu que les travers. On a beaucoup écrit sur eux. Il ne reste guère, de toute cette production, que les chapitres de Rabelais dans le Pantagruel, la pièce de Rémy Belleau, la Reconnue, et deux chefs-d’œuvre, la Farce de l’avocat Pathelin, les Plaideurs ; plus la tirade des Fourberies de Scapin. Ce que tous les auteurs dénoncent avec vigueur, avec raison, c’est la cherté de la justice, et son train embarrassé, et ce réseau des procédures, — des incidens, comme dit le langage du Palais, — où les procès d’autrefois paraissaient s’embrouiller comme à plaisir. La Reconnue donne quelques détails superficiels mais pittoresques sur la vie du Palais. Les deux plaidoyers des Plaideurs sont une parodie spirituelle et bien venue de l’emphase, des longueurs qui plaisaient trop aux avocats, même à ceux du XVIIe siècle. Quant aux personnages, ce ne sont jamais que des fantoches : il leur manque à tous cette touche d’observation et de vérité qui fait si profonds et si vivans les types du théâtre de Molière. Maître Pathelin est, de tous, le plus invraisemblable : les avocats ont pu mériter des reproches ; mais, tout de même, les moins honorables et les moins scrupuleux ne se seraient pas risques à voler le drap d’un marchand : il y avait des peines pour les fautes professionnelles ; il y en avait pour l’indélicatesse et la friponnerie. Comment, toutefois, et malgré cette invraisemblance trop criante, la Farce de maître Pathelin est-elle passée d’âge en âge avec un succès qui n’a jamais faibli ? On surprend ici la confusion qui était indiquée plus haut entre l’avocat inscrit à un