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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/335

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barreau, soumis à une discipline, respectueux des règles de l’Ordre, sans parler de la vulgaire honnêteté, et le solliciteur qui s’intitule avocat, qui n’est qu’un faiseur d’affaires, besogneux, sans scrupule. Le public, surtout le public populaire, ne distinguait pas : ou plutôt il acceptait comme avocat le personnage qu’il a toujours connu comme tel : et c’est bien ce faiseur d’affaires qu’est maître Pathelin. Dans la version de 1490, où se passe la scène ? À Paris, près de Saint-Innocent, et c’est-devant un juge unique qu’Agnellet vient faire son : « Bêê. » On est très loin de la Grand’Chambre, et du Châtelet, et de toutes les juridictions connues : on est en pleine farce. Dans la version de Brueys, l’Avocat Pathelin, qui est de 1706, la scène est « dans un village ; » et le théâtre représente « une partie d’un gros bourg. » Et Pathelin raconte : « J’ai quitté le village où je demeurais pour venir m’établir en celui-ci, croyant d’y faire mieux mes affaires… » On est fixé. Ce Pathelin est simplement un agent d’affaires de campagne. Il reste que la comédie est une des meilleures du vieux répertoire français ; mais il reste aussi que les avocats ont toujours eu le droit d’y rire sans se moquer d’eux-mêmes, car ce n’est pas un des leurs que maître Pathelin.

Leur portrait fidèle, leur ressemblance exacte, ils les ont trouvés dans ce Dialogue des avocats, où Loysel, excellent avocat lui-même, faisait converser, au commencement du XVIIe siècle, quelques-uns de ses confrères. L’ouvrage est peut-être moins connu que ne le comporte son mérite ; avec du mouvement, de la vigueur, un style franc et dru, il rend la physionomie du Barreau, et c’est une physionomie vraie ; on le peut constater, en comparant à l’ouvrage l’histoire réelle d’une des grandes famille d’avocats, aux XVIe et XVIIe siècles, par exemple, celle de Marion, d’Arnauld, de Le Maître. On y voit ces lignées se transmettre pieusement le culte de la profession et les vertus domestiques. Des existences très régulières avec une certaine gravité, un sentiment exalté des devoirs de l’avocat, de sa dignité, de son indépendance, et une sorte de passion qui se dévoue tout entière à la cause des cliens, un souci de réussite et de gain joint au désir de pousser le plus possible les membres de la famille, voilà comment se présente le Barreau du temps de Loysel, et pareillement celui du XVIIIe siècle. C’est une portion considérable de la grande bourgeoisie française. Elle affirme son esprit bourgeois par la réserve promptement hostile et le ton