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Sa maîtresse l’eût-elle vue par hasard opérer le déménagement des bijoux, elle eût affirmé énergiquement, et en toute conscience, devant le tribunal qu’elle avait été témoin du vol ; une condamnation s’en fût suivie — au maximum de la peine, car, dans les faits de la cause, se trouvaient les circonstances aggravantes prévues au Code pénal — condamnation très juste aux yeux de tout le monde, très injuste cependant au point de vue de la responsabilité morale. Il suffisait même, dans la circonstance présente, sa maîtresse n’ayant que des soupçons, que je n’eusse pas connu les antécédents de Marie pour que la condamnation fût possible, sinon probable.

Maintenant, supposons qu’un somnambule — reconnu comme tel — commette, alors qu’il est en condition seconde, c’est-à-dire en état de somnambulisme, un acte délictueux ou criminel, devrait-on l’en punir ? Non, à coup sûr, mais on devrait le mettre en situation de ne pouvoir recommencer.

J’irai plus loin : telle devrait être — même pour les crimes et délits commis consciemment, à l’état normal — l’opinion de ceux qui, exempts des préjugés de la scolastique, n’admettent pas le libre arbitre ; c’est-à-dire que, tout en refusant de regarder l’accusé comme responsable d’un acte déterminé par des conditions soit organiques — acquises ou héréditaires — soit extérieures, causes d’impulsions auxquelles il n’a pas su ou pu résister, ils ne peuvent cependant ne pas le considérer comme dangereux pour la société et ne pas désirer qu’il soit mis hors d’état de récidiver.

L’irresponsabilité personnelle doit s’effacer devant la sécurité publique. N’enferme-t-on pas les aliénés dangereux ? Dans l’un comme dans l’autre cas, c’est une injustice morale, mais c’est une nécessité sociale. Est-ce à dire que le condamné devrait être a jamais séparé de la communauté à laquelle il s’est montré nuisible ? — Non pas. La peine supportée serait pour lui un enseignement, une menace pour l’avenir, qui agiraient sur ses déterminations futures dans le sens de l’intérêt public et du bien général.

Les lois, en effet, lorsqu’elles punissent, ont en vue la société bien plus que le délinquant. Le législateur, en déterminant les peines, ne doit pas dépasser le degré de sévérité nécessaire pour réprimer le sentiment vicieux — né de l’organisation anatomo-physiologique, ou du manque d’éducation — qui le produit.

Sans doute au point de vue de l’éthique pure ce n’est là qu’un pis-aller, car la sanction pénale ne peut employer que des motifs externes de prévention future, tandis que l’éducation pendant l’enfance développe des motifs internes capables — non pas seulement d’empêcher l’exécution des désirs coupables — mais d’en rendre impossible la pensée même.

Il n’est généralement plus temps, chez les adultes, de faire naître l’impulsion vraiment morale ; il faut bien alors recourir aux moyens externes.