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p. janet. — réalisme et idéalisme

que la science réclame, et ce qu’elle affirme, c’est la nécessité absolue et non relative. — 2o Quant au principe des associations héréditaires, la réponse est la même : quoique par l’hérédité on prolonge la chaîne des expériences, et qu’on ait plus de facilité à expliquer par là l’apparence de l’a priori dans la connaissance, cependant il ne s’agira encore que d’une nécessité relative. On peut toujours revenir sur une habitude par une habitude contraire. Tous les préjugés nés de la tradition ont pu disparaître les uns après les autres. Il devrait en être de même pour les principes de la connaissance, s’ils n’étaient que le résultat de l’habitude : or ; c’est ce que l’expérience ne confirme pas.

Ce n’est pas tout. On explique toutes choses par l’association ; mais on n’explique pas l’association elle-même. La répétition constante, dit-on, engendre l’habitude, et l’habitude engendre la nécessité, soit ; mais d’où vient la répétition constante ? pourquoi nos sensations se reproduisent-elles toujours dans le même ordre ? Il doit y avoir une cause, dans la nature des choses, pour qu’il en soit ainsi. Mais si nous cherchons une cause à l’association elle-même, n’est-ce pas là une preuve que l’association ne rend pas raison du principe de causalité, puisqu’elle lui est soumise ?

Quant au principe de la transformation des forces, à l’aide duquel on essaye d’expliquer le passage du mouvement à la pensée, de la chose à l’esprit, on ne peut le faire qu’en supposant cela même qui est en question. En effet, on part de la transformation du mouvement en lumière et en chaleur. Mais de quelle lumière, de quelle chaleur entend-on parler ? Est-ce de la lumière objective, de la chaleur objective, c’est-à-dire de la cause objective et physique de nos sensations de lumière et de chaleur ? Quoi d’étonnant alors que ces deux qualités se transforment en mouvement, ou que le mouvement se transforme en elles puisque, selon les conjectures les plus vraisemblables de la science, elles ne sont déjà elles-mêmes que des mouvements, mouvements invisibles et infiniment petits qui se traduisent en nous par des sensations, mais qui peuvent très bien se transformer en mouvement visible, accessible aux sens, c’est-à-dire en mouvement proprement dit, et réciproquement. Il n’y a dans tout cela que du mouvement et rien autre chose. Que si, au contraire, par lumière et par chaleur, vous entendez la sensation de lumière, la sensation de chaleur, dire que les deux sensations ne sont que des mouvements transformés, c’est affirmer précisément ce qui est en question, à savoir que ce mouvement peut se transformer en pensée : car la sensation, c’est déjà de la conscience, et par conséquent de la pensée, dans la langue de Descartes : or ce dont il s’agit,