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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/128

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que Fichte appelle une série simple, où chaque terme suit des précédents, par exemple l’enchaînement indéfini du mouvement, tandis que la pensée représente une série double ; car pour penser quelque chose il faut se penser soi-même, il faut donc revenir sur soi-même, il faut se réfléchir. II y a donc là dualité, opposition et identité de sujet et d’objet, tandis que dans la chose, dans l’être pur et simple, dans la matière, il n’y a qu’un terme unique, à savoir l’objet. Comment donc dans cette chose absolument simple et qui n’est qu’objet, se produirait-il à un moment donné ce dédoublement qui constitue la pensée ? Comment la série reviendrait-elle sur elle-même pour se penser ? Comment une boule pourrait-elle se choquer elle-même ? Comment enfin le conscient peut-il naître de l’inconscient ? Ainsi l’empirisme est battu en brèche par l’impossibilité d’expliquer la science ; le matérialisme par l’impossibilité d’expliquer la pensée.

À la vérité depuis Kant et depuis Fichte de nouveaux systèmes plus compliqués et plus savants ont essayé de relever la cause de l’empirisme et du réalisme. Nous ne pouvons les suivre dans les replis tortueux de leurs déductions et de leurs explications. Tenons-nous aux idées fondamentales.

Pour résoudre l’objection de Kant et pour expliquer l’apparence de l’a priori les nouveaux empiristes ont invoqué : 1o le principe des associations inséparables ; 2o le principe des associations héréditaires. Ils ont donc dit que deux idées, qui se présentent constamment unies ensemble dans l’expérience, deviennent inséparables, et par conséquent contractent l’apparence de la nécessité, qui est le caractère propre de toutes les habitudes ; en second lieu, que cette nécessité s’accroît encore par l’hérédité, chacun de nous recevant par la génération ces principes tout formés et en quelque sorte incrustés dans l’organisation. Ainsi la nécessité des principes à priori n’est qu’une nécessité d’habitude, qui n’exclut nullement une origine empirique. D’un autre côté, les nouveaux défenseurs du matérialisme, pour expliquer la transformation du mouvement en pensée, ont invoqué le grand principe de la corrélation et de la transformation des forces dans la nature. Si le mouvement, comme on le dit, peut se transformer en lumière et en chaleur, pourquoi ne se transformerait-il pas en pensée ?

Nous ne pouvons introduire ici une discussion approfondie de ces différentes questions. Contentons-nous de rappeler la réponse que l’on a pu faire aux deux théories précédentes.

1o Pour ce qui concerne les associations inséparables, elles nous donnent plutôt une nécessité de fait qu’une nécessité de droit. Or ce