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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/131

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p. janet. — réalisme et idéalisme

ne sortons pas des choses finies et du monde de l’expérience, ni le moi n’est identique à la nature, ni la nature n’est identique au moi ; et tout en reconnaissant d’une part que le moi est dans la nature, de l’autre que la nature est une représentation du moi, en un mot tout en admettant la pénétration réciproque des deux principes, nous sommes obligés en même temps de reconnaître leur mutuelle indépendance. Il y a donc harmonie, il n’y a pas identité.

Mais ce qui n’a pas lieu dans le domaine du relatif et du fini ne peut-il pas être vrai dans le domaine de l’infini et de l’absolu ? Si l’expérience nous montre d’une part la nature, de l’autre l’intelligence, ne devons-nous pas conclure, avec les cartésiens, qu’il y a quelque être en qui coexistent et le réel de la nature et le réel de la pensée, qui soit à la fois la raison de l’une et de l’autre, et qui, comme il ne peut y avoir deux absolus, soit à la fois l’absolu de la pensée et l’absolu de la réalité, l’absolu sujet et l’absolu objet, et comme ce serait encore là une dualité, l’absolu sujet-objet.

Nous ne voyons aucune raison de ne pas accepter cette formule de Schelling ; mais cet absolu, une fois posé avec sa définition de sujet-objet, comment devons-nous l’entendre ? Est-ce d’une manière purement négative en ce sens que ce prétendu sujet-objet ne serait en réalité ni sujet ni objet, c’est-à-dire ne serait qu’un pur indéterminé dont on ne sait absolument rien ? Mais alors pourquoi l’appelons-nous Sujet ? Pourquoi pas  ? Pourquoi pas le Rien ? Et en quoi se distinguerait-il en effet du néant, auquel quelques philosophes allemands ont ramené l’origine des choses ? Que devient alors l’idéalisme et la prétention de tout expliquer par le sujet, par la pensée ? Ce fond obscur et inconnu ne serait-il pas aussi bien et beaucoup mieux appelé matière qu’esprit ? N’est-ce pas revenir à la notion de chose que Fichte avait anathématisée dans son Introduction à la Doctrine de la science ? Ou plutôt n’est-ce pas un concept encore inférieur à celui de chose, puisqu’il ne contient rien, absolument rien ? La notion de sujet-objet ne peut donc se conserver, que si on l’entend d’une manière positive, c’est-à-dire comme contenant à la fois tout le réel de la pensée, et tout le réel de la nature ou de l’être, l’essence de l’une et de l’autre. Mais où prendre le type de cette identité essentielle de la pensée et de l’être, sans laquelle ni l’être ne précède la pensée, ni la pensée l’être, où le prendre, dis-je, si ce n’est dans la conscience qui nous fournit le seul type réel et effectif d’un être qui est à la fois sujet et objet ? La conscience finie ne peut avoir sans doute la prétention de produire la nature qui lui est extérieure, et dans laquelle elle-même est apparue un jour. Mais il n’en est pas de même de la conscience infinie, de la conscience absolue.