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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/132

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C’est de la conscience qu’est parti l’idéalisme allemand pour parvenir à la notion de sujet-objet ; mais arrivé là, elle supprime la conscience comme un état inférieur ; mais alors que reste-t-il que l’on puisse appeler pensée dans ce terme suprême où l’on est arrivé, et n’est-ce pas encore une fois revenir de l’esprit à la chose ? L’idéalisme, s’il est conséquent, doit donc aller jusqu’à la conscience absolue, jusqu’à l’identité de l’intelligible et de l’intelligence, jusqu’à la pensée de la pensée, c’est-à-dire de l’union de la pensée subjective et de la pensée objective. Or c’est là la définition même de l’esprit. Le terme suprême où se consomme l’identité des deux termes inférieurs est donc l’esprit absolu.

Dans ces termes nous ne voyons rien qui nous empêche d’accepter la thèse de l’idéalisme qui se confondra selon nous avec le spiritualisme. Tout sera le produit de l’esprit absolu qui, sans rien perdre de son essence, trouvera dans la nature et dans l’esprit une double expression de lui-même et sera par conséquent le lien des deux mondes. Rien n’empêchera alors d’entendre la nature avec Schelling comme l’esprit endormi, éteint, aspirant à se réveiller, et le moi au contraire comme une nature qui s’éveille. La nature ne sera pas une matière morte, abstraite, ne disant rien à l’âme ; elle sera l’enfance de l’âme, l’âme à l’état naïf et innocent, souverainement aimable ; de plus, elle sera raisonnable sans le savoir, étant une image de la raison ; elle nous garantira toute sécurité et toute certitude, parce qu’elle est une logique en même temps qu’une poésie. L’esprit à son tour ne s’isolera pas de la nature, ne cherchera pas à la nier, à en douter, à en gémir, à la mépriser ; car il sent qu’il est lui-même nature et que la vie de la nature est en lui. Il cherchera dans la nature un point d’appui pour s’élever plus haut.

Il nous semble donc que l’on peut conserver toutes les belles conséquences, toutes les belles pensées, toutes les grandes vérités de l’idéalisme allemand, tout en éclaircissant les équivoques dans lesquelles il s’est sans cesse enveloppé, parlant tantôt comme David Hume, tantôt comme d’Holbach, tantôt comme Spinoza, tantôt comme Jacques Boehm. Défini et limité par précision, il peut être considéré comme le développement légitime et enrichi de la philosophie de Platon et d’Aristote, de Descartes et de Leibniz. Il n’a rien de contraire à un théisme vraiment philosophique, celui de tous les grands métaphysiciens et de tous les grands théologiens. Notre thèse est donc qu’à leur terme le plus élevé l’idéalisme et le spiritualisme ne font qu’un. Hegel va rejoindre Malebranche et Platon.

Paul Janet,
de l’inslitut.