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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/139

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g. tarde. — l’art et la logique

bizarre que leurs aïeux s’étaient faite de leurs dieux à tête humaine sur un corps animal, ou à tête animale sur un corps humain, la puissance d’Osiris, de Hor, d’Ammon-Râ était de moins en moins, et la puissance des pharaons était de plus en plus la source providentielle de faveurs où se tournait l’espérance populaire ; de là une nouvelle orientation de l’art qui, de religieux, devenait monarchique. Et, à mesure aussi que les croyances primitives, si grossières, sur le séjour des morts et la vie d’outre-tombe, allaient s’affaiblissant, le premier but de l’art, perpétuer la personne en vue de la vie future, s’effaçait devant ce but, jadis secondaire, devenu principal, perpétuer pour les vivants le récit, le souvenir des actions du mort, de leurs exploits s’il s’agissait d’un grand personnage. Or, ici, se fait sentir une cause très particulière qui a dû décider la sculpture à revêtir un caractère plus abstrait, à accentuer le type par le sacrifice des détails individuels. Cette simplification, d’après Perrot, a été commandée notamment par l’influence prolongée et persistante, absolument démontrée du reste, de l’écriture hiéroglyphique sur les arts du dessin. L’habitude d’avoir pour mots des espèces de dessins conduisait à voir dans les dessins véritables des espèces de mots, des signes idéographiques avant tout, parlant à l’esprit plus qu’aux sens, clairs encore plus que beaux, ou plutôt dont la beauté la plus appréciée, outre leur grandeur hyperbolique d’apothéose, consistait dans leur clarté la plus lumineuse. De là ces conventions dont le dessin égyptien ne s’est jamais affranchi, dont il n’a jamais cherché à s’affranchir. On ne persuadera pas à un connaisseur que des artistes assez fins pour dessiner les délicates silhouettes que l’on sait, pour reproduire avec une incomparable perfection, quand ils l’ont voulu, les moindres nuances des traits, ont pu rester des milliers d’années sans s’apercevoir que leurs poitrines sont toujours présentées de face alors qu’elles devraient l’être, suivant nous, de profil, comme les têtes et le reste des corps. S’ils ont commis cette prétendue faute, c’est en connaissance de cause, et parce qu’ils jugeaient la vue de face plus propre à caractériser la poitrine, de même que la vue de profil plus propre à donner du visage une idée précise[1]. Ils

  1. Ce caractère éminemment descriptif, narratif, explicatif de l’art naissant se montre encore dans les vues panoramiques où les divers plans d’un même paysage ou d’une même action sont vus superposés sur le même plan afin d’être vus tout entiers séparément. Le peintre, en peignant cela, ne croyait pas plus représenter exactement la nature, que le peintre du moyen âge, en peignant les décors des mystères où il juxtaposait, dans le même panneau, la crèche de Bethléem, le désert de la fuite en Égypte, le Golgotha, le ciel et l’enfer, ne se faisait illusion sur l’exactitude de sa peinture. Ce dernier exemple nous prouve le succès prolongé d’une telle convention usitée jusqu’aux temps modernes.