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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/155

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g. tarde. — l’art et la logique

été se fortifiant et se déployant sans cesse, à mesure que s’accumulaient les chefs-d’œuvre, les idées novatrices du génie. Nous reviendrons sur ce caractère différentiel du sentiment de l’art pour signaler ses effets ; mais auparavant montrons sa cause et son explication physiologique.

Les désirs de consommation, dans l’industrie, tendent toujours, soit à l’absorption ou à la non-déperdition corporelle de certaines substances alimentaires ou stimulantes, dont la forme d’ailleurs importe peu, mais qu’il s’agit d’assimiler ou de maintenir assimilées, éléments de la forme même du consommateur ; soit à l’absorption ou à la non-déperdition corporelle de certaines forces, chaleur, lumière, électricité, qui sont produites ou maintenues par des murailles et des toitures, par des cheminées ou des vêtements ; soit enfin à l’exercice de certaines forces extérieures, naturelles ou artificielles, chutes d’eau, cheval, bœuf, vent, vapeur, en vue de produire des déplacements ou des travaux déterminés, qui, s’ils étaient exécutés à l’aide des seuls organes de l’individu, lui coûteraient une grande dépense de sa force ou de sa substance corporelle, et, par suite, la lui épargnent. En ce qui concerne le désir d’être armé, qui ne paraît pas rentrer dans les catégories précédentes, j’observerai que les armes en tant que défensives, sont simplement des vêtements spéciaux, propres à maintenir intacte, sans perte ni partielle ni totale, la masse et l’énergie du corps ; que, en tant qu’offensives, elles poursuivent indirectement le même but par la mort de l’ennemi mortel, ou bien l’asservissement de l’ennemi devenu esclave ou tributaire et réduit à travailler pour épargner des fatigues à son vainqueur ; des fatigues, c’est-à-dire des pertes de substance ou de force. Que si la guerre a des visées généreuses ou chevaleresques, on peut dire qu’elle est faite pour l’amour de l’art. — En somme, tous les outils ou les produits, et tous les services que l’industrie met à la disposition de son consommateur, peuvent être considérés comme des membres ou des fonctions supplémentaires et facultatifs qui manquent au corps humain, mais que l’esprit humain lui ajoute ou lui ajuste le mieux possible, et qui répondent tous au besoin général de nutrition, développé et agrandi par l’effet même de cette extension extérieure de l’organisme.

Tout autres sont les désirs de consommation artistique. Il ne s’agit pas ici de se sentir accru ou fortifié, ou du moins non diminué ni affaibli corporellement ; il s’agit de se voir reflété au dehors, embelli ou accentué, grâce à des couleurs et à des formes, à des sons ou à des rythmes, qui seuls importent dans l’œuvre contemplée ou la matière employée, et les forces physiques dépensées sont chose acces-