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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/160

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doivent prendre place selon leur nature propre. La coordination pratique, cela est encore évident, exige une notion fondamentale d’ordre pratique. Ainsi, la première recherche qui s’impose à nous porte sur la possibilité de faire provenir du phénomène cette notion fondamentale.

Que peuvent nous dire sur ce point les métaphysiciens ? Ceci peut-être : « La notion fondamentale cherchée ne saurait être que la notion du bien. Quelle raison aurait la philosophie pratique de coordonner les volitions, sinon la raison du bien ? En vue de quoi préparerait-elle l’avenir, sinon en vue du bien ? Tout, dans la coordination pratique, doit être dépendant de cette idée, tout doit se ramener à elle. Le bien est donc, dans l’ordre pratique, l’unité fondamentale. Or admettre cela, n’est-ce pas admettre que Je bien est antérieur à l’œuvre de la philosophie pratique ? Du moment que celle-ci doit prendre le bien comme unité de coordination, qu’elle trouve en lui sa raison d’être et son fondement, elle ne peut lui avoir donné naissance. La condition de la coordination ne saurait être son résultat. En second lieu, n’est-ce pas admettre qu’il existe une réalité qui est le bien lui-même ? Si la notion du bien s’impose ainsi à la philosophie pratiqué, c’est qu’elle n’est pas une conception chimérique et arbitraire ; et si elle n’est pas une conception chimérique et arbitraire, c’est qu’elle correspond à une réalité. Révélée extérieurement ou par la constitution même de notre esprit, obtenue à la suite d’une contemplation directe, ou après des inférences plus lentes, toujours est-il qu’elle doit avoir un objet réel, qu’elle suppose le bien en soi. Enfin, n’est-ce pas reconnaître l’insuffisance du phénomène pour fournir la notion pratique fondamentale ? Le phénomène contiendrait-il cette réalité supposée, ce bien en soi ? Qui oserait le prétendre ? »

Ce n’est pas nous assurément. Mais nous demandons pourquoi cette réalité serait plutôt dansl’ultra-phénomène que dans le phénomène. L’ultra-phénomène n’est pas nécessairement le bien ; il n’y a même pas nécessité immédiate à ce qu’il le contienne. Il est vrai que la métaphysique identifie ordinairement le bien avec Dieu, et qu’il lui arrive d’affirmer l’existence de Dieu. Mais pourquoi cette identification ? Elle ne s’impose pas directement à l’esprit, et les pessimistes, par exemple, ont pu voir en Dieu, au lieu du bien, le contraire du bien, ou en tout cas l’indifférence au bien. Il faut donc démontrer que l’identification du bien et de Dieu est légitime. Et comment y parvenir ? N’est-ce pas en confrontant la nature divine, telle qu’elle résulte d’une dialectique bien conduite, avec le bien lui-même ? Mais procéder ainsi, c’est reconnaître que le bien peut s’offrir