Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
151
j.-j. gourd. — morale et métaphysique

indépendamment de l’objet métaphysique, que justement on réclame pour le rendre intelligible. Ainsi, ou l’on n’a pas de garantie de l’existence ultra-phénoménale du bien en soi, ou l’on renonce à la thèse sur laquelle l’idée de ce bien en soi se fonde.

Nous nous demandons ensuite si la prétention de trouver le bien à l’origine de la coordination pratique n’est pas illusoire. Le bien s’impose à elle, dit-on ; mais est-on certain que ce ne soit pas en vertu d’une transposition illégitime ? Pourquoi le bien que l’on dit antérieur à la philosophie pratique ne serait-il pas tout simplement le résultat des philosophies pratiques qui ont précédé la nôtre et dont l’autorité s’exerce de mille manières sur nous ? Les métaphysiciens croient le contraire : qu’ils le prouvent, s’ils veulent conserver de l’autorité à leur argument ! Mais comment y parviendraient-ils ? Qu’ils prouvent aussi que ce prétendu bien antérieur, inutile s’il n’est connu, est un objet de connaissance. En toute hypothèse, cela nous paraît inintelligible. Invoquerait-on une révélation extérieure ? Ce serait sortir de la philosophie et renoncer à toute explication, sans compter qu’on n’aurait en définitive aucune garantie de l’authenticité de cette révélation. Se placerait-on au point de vue platonicien, et dirait-on que nous avons eu, ou que nous avons actuellement, la contemplation directe des essences intelligibles, des idées, qui constituent Dieu ou le bien ? En vérité, même en métaphysique, nous ne comprenons une idée qu’à titre d’abstrait plus ou moins large, d’unité inséparable des objets individuels dont elle exprime les caractères communs : on ne peut donc contempler directement le bien. Aurait-on recours à une théorie que l’on trouve chez quelques mystiques, et d’après laquelle nous aurions la perception même de Dieu, grâce à une sorte de sens religieux ? Alors, qu’on nous montre autrement que par des affirmations vagues la réalité de ces perceptions venant prendre rang dans la série des autres perceptions, et cependant produites dans de tout autres conditions. Enfin préférerait-on dire qu’il y a en nous une connaissance innée du bien ? L’obscurité ne ferait que croître. Comprend-on comment il existerait à l’avance, dans l’esprit, des conceptions pratiques pour chaque circonstance de la vie, ou tout au moins pour les principales catégories d’actions ? Comprend-on aussi comment se serait produit le désaccord, assez important parfois, que l’histoire rapporte sur la conception du bien ? Faites provenir la connaissance du bien de la philosophie pratique, et le désaccord s’explique aussi bien que l’accord : avec la théorie d’une connaissance antérieure, l’accord seul s’explique.

Mais cette vieille discussion s’allongerait sans fin, et nous préfé-