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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/166

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laissait tous ses objets sur le même plan au point de vue de l’avenir ? Elle n’est pas pratique seulement parce qu’elle s’occupe du « faire », mais parce qu’elle le règle. — Et nous ajoutons que l’idée de plaisir ne suffit pas pour cela. Elle ne peut fournir à la fois le fondement et la règle de la coordination. Nous en pourrions, d’ailleurs, dire autant de toute autre idée prise comme unité fondamentale. En vain essayerait-on, avec Épicure, de distinguer entre les plaisirs vrais et les plaisirs illusoires, on ne se tirerait pas d’embarras : le plaisir illusoire n’est pas un plaisir, et ne saurait être pris ici en considération ; nous resterions toujours en présence d’un seul terme, et il n’y aurait point de raison de soumettre tels objets à tels autres en son nom, puisque tous se rapporteraient également à lui. Il faut une nouvelle idée qui s’applique à celle du plaisir, qui la détermine, qui la rétrécisse, qui introduise des différences, des inégalités, entre les divers objets de volition, et finalement entre les divers plaisirs.

Cette unité régulatrice peut-elle, ainsi que l’unité fondamentale, être trouvée dans le phénomène ? Les métaphysiciens présentent aussitôt un argument contraire. — Ce n’est que dans un monde supérieur à l’expérience, aux faits, disent les uns, qu’on trouvera de quoi régler les faits. Comment « tirer des faits un droit qui s’élève contre eux, qui les juge, et prétend les régir ? » Ne sont-ils pas tous également des faits ? Ne sont-ils pas tous justifiés par cela même qu’ils sont ? — On ne saurait prononcer sur la valeur des différents plaisirs, disent les autres, sans avoir recours à ce qui constitue la valeur superlative ; d’autre part, la valeur superlative ne peut être conçue comme relative que provisoirement ; il faut la rapporter finalement à la valeur superlative absolue ; or cela même nous entraîne dans le monde ultra-phénoménal de la métaphysique. — Et les uns et les autres reviennent ainsi à la thèse du bien antérieur à la recherche morale, lumière et raison d’être de la philosophie pratique, règle en même temps que fondement de la coordination.

De notre côté, nous maintenons nos précédentes réponses. — Malgré l’emploi équivoque du mot « absolu », il n’y a pas de raison pour que cette règle provenant d’un bien antérieur à la philosophie pratique soit fournie plutôt par l’ultra-phénoménal que par le monde du phénomène. En tout cas, il faudrait prouver que l’ultra-phénoménal la fournit en réalité, par conséquent prouver l’existence du bien antérieur dont elle est l’expression, et forcément cela entraînerait, nous le savons, dans une sorte de cercle vicieux. Il faudrait encore montrer comment cette règle ultra-phénoménale, ainsi que le bien antérieur d’où elle provient, pourrait être un objet de connaissance, et nous savons déjà qu’on n’y parviendrait pas. — D’autre