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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/165

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j.-j. gourd. — morale et métaphysique

ou l’habitude, il ne serait légitime de mettre la douleur à l’origine de la volition. Locke prétendait qu’on reste inerte pour le plus grand bien, tandis qu’on agit pour éviter la plus petite incommodité ; mais il faut s’entendre sur l’interprétation des faits allégués. Si l’on reste inerte pour le plus grand bien, c’est que ce bien n’est pas senti, c’est que la représentation en est vide, c’est par conséquent qu’il n’est pas le plus grand bien, qu’il n’est peut-être pas même un bien. D’ailleurs, même dans le cas de l’action tendant à fuir la douleur, ce n’est pas la douleur, mais le plaisir d’être délivré de la douleur, qu’on devrait prendre pour principe de la volition, attendu que, dans le domaine pratique, le but ne se distingue pas du principe, ce qui attire de ce qui pousse, et que la volition ne saurait avoir la douleur pour but et point d’attrait. Nous revenons ainsi à notre élément fondamental.

Mais nous ne prétendons pas étudier ici à fond ces diverses questions. Il suffit de montrer que la science phénoménale n’est point dans l’embarras pour trouver l’unité fondamentale réclamée par la coordination pratique, et qu’il y a de bonnes raisons pour prendre cette unité dans ce que nous sommes convenus d’appeler le plaisir. Du moment qu’on a écarté la pensée inutile et injustifiable d’un bien en soi, antérieur à la philosophie pratique, et s’imposant dès l’abord à elle ; du moment que l’attention est dirigée exclusivement sur les conditions d’une coordination pratique, et, pour commencer, sur l’élément constant et catégorique de la volition, il est difficile de ne pas mettre le plaisir à la première place, de ne pas en faire le fondement de la coordination, ou, si l’on aime mieux, le fondement du bien. Voilà donc un problème résolu sans le secours de la métaphysique.

II

Il y en a d’autres, même dans le domaine des principes généraux. Nous l’avons dit, la coordination pratique est plus complexe que la coordination théorique. Dès que celle-ci a obtenu son unité fondamentale, elle n’a plus qu’à procéder à la définition de ses différents objets. Il faut autre chose à la coordination pratique ; il lui faut encore une unité qui lui permette de disposer ses objets, non plus selon leur nature propre, mais selon leur valeur propre. Après le principe de coordination simple, on doit chercher celui de la coordination qui subordonne, qui établit des degrés d’importance, qui marque une sorte de hiérarchie. La philosophie pratique ne serait pas pratique à moins. Comment déciderait-elle de l’avenir, si elle