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Cette loi dit en substance ceci que, du moment qu’une cause constante fait varier un type dans une proportion aussi faible que l’on veut, les variations finissent par lui disputer victorieusement la place, La voici énoncée sous forme de théorème : « Quelque grand que soit le nombre d’êtres semblables à lui et si petit que soit le nombre des êtres dissemblables que met au monde un même individu, on peut toujours, en admettant que les diverses générations se propagent suivant les mêmes rapports, assigner un nombre de générations au bout desquelles la totalité des individus variés dépassera celle des individus inaltérés. »

Cette loi nous explique, entre autres choses, pourquoi l’hérédité ne fait pas disparaître une modification avantageuse qui, par suite de circonstances spéciales, ne peut apparaître que chez un petit nombre d’individus. Elle perd son caractère paradoxal quand on réfléchit qu’une cause constante de variation agit autrement qu’une cause constante de conservation. Toute variation obtenue reste acquise en vertu même de la cause de conservation ; et, d’acquisition en acquisition, les domaines des variétés tendent à s’accroître aux dépens de celui des types.

À ce propos, M. Giard, dans sa leçon d’ouverture, a dit spirituellement des choses remarquablement sensées : « … Pour les raisons exposées ci-dessus, les naturalistes abandonnèrent l’étude des facteurs primaires de l’évolution pour s’attacher surtout à la recherche des facteurs secondaires. Outre ses défauts de logique, cette méthode présentait de sérieux inconvénients qui bientôt se firent sentir. On en est venu aujourd’hui à attribuer aux mots de concurrence vitale, de sélection naturelle, d’hérédité, etc., je ne sais quelle vertu magique. On les emploie comme, à une certaine époque, on employait en chimie les mots d’affinité ou d’état naissant pour se tirer d’embarras dans les cas difficiles. Les gens du monde, les littérateurs surtout, qui, à part de rares exceptions, parlent de tout cela sans études préalables et sans comprendre le vrai sens des choses, les philosophes et les métaphysiciens, esprits habitués à se payer de mots, nombre de savants mêmes croient

    cette loi, et concluait par le paragraphe suivant : « Loi de Darwin et loi de Delbœuf : Je pense qu’il est probable que la loi de Delbœuf sur la tendance qu’ont les variations à s’établir, se montrera avoir la même importance que la loi darwinienne de la sélection naturelle par la survivance du plus apte. Il faut observer que ces deux lois s’appliquent à des cas différents. La loi de Darwin dit en résumé qu’une variation qui procure un avantage aux individus variés, tendra à rendre cette variété prédominante. La loi de Delbœuf dit qu’une variation, qui n’est ni avantageuse ni désavantageuse, tendra à se répandre jusqu’à ce que le nombre des individus variés égale approximativement (M. Murphy aurait dû ajouter : et dépasse) le nombre des individus non variés. »