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elle hésite pour toucher sa robe, réussit avec beaucoup de peine à l’enlever un peu, mais au lieu de continuer elle la remet et recommence indéfiniment. Je la trouvai un jour le* mains vides sans son crochet habituel qui était sur une table à un mètre d’elle. « Je m’ennuie tant, me dit-elle, parce que je n’ai pas pu prendre mon crochet ! donnez-le-moi. » Un autre jour, je la trouve renfermée dans la salle et je lui reproche de n’être pas sortie profiter d’un beau jour de soleil : « J’ai essayé, me dit-elle, mais je n’ai pas pu sortir, alors je suis restée sur ma chaise. » Cette hésitation, comme on le voit par ce dernier exemple, atteint aussi les mouvements des jambes. Enfin, à de certains moments, elle reste sans répondre et ne peut même ouvrir la bouche ; le lendemain, elle raconte qu’elle a voulu parler, mais n’a pu y parvenir. En un mot tous les mouvements volontaires des bras, des jambes, même ceux de la langue et des lèvres présentent la même hésitation et la même impuissance.

En voyant une personne de ce genre parler intelligemment se plaindre elle-même de son impuissance à se mouvoir, de cette résistance de ses membres à sa volonté au moins apparente, on pourrait peut-être songer un moment à une maladie physique des nerfs ou des muscles, par exemple à la maladie de Thompsen, qui amène également des troubles du mouvement volontaire. Mais il suffit d’observer combien les mouvements de Marcelle sont modifiés par les plus légères influences morales, comment l’attention, la distraction, les souvenirs de différentes espèces suppriment ou augmentent son hésitation pour écarter l’hypothèse d’une maladie purement physique et pour chercher dans la pathologie mentale la raison de cette impuissance.

La maladie mentale, à laquelle on doit alors songer, a été bien décrite depuis quelques années dans les travaux de Morel, Westphal, Legrand du Saulle, J. Falret, Magnan, etc. C’est le délire du contact, dont Legrand du Saulle fait une phase particulière de la folie du doute, tandis que d’autres auteurs le décrivent comme un symptôme isolé. Les malades hésitent longtemps avant de faire un mouvement, parce que ce mouvement doit provoquer l’attouchement d’un objet, qui est devenu odieux. Par suite de telle ou telle idée fixe, ou conception délirante, ils se figurent malgré eux que cet objet est électrisé, empoisonné, en un mot qu’il est répugnant et dangereux. Reconnaissant eux-mêmes toute l’absurdité de cette conception, ils veulent lutter contre leur crainte et font effort pour avancer la main, qu’ils retirent bientôt par terreur. De là, des mouvements incoordonnés, des efforts, des hésitations tout à fait analogues à ce que nous observons chez Marcelle.