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p. janet. — cas d’aboulie et d’idées fixes

même, les divagations de l’écriture automatique. À côté des idées de persécution, nous remarquons d’autres paroles ayant une importance fort grande. Ce sont des sortes de commandements ou de défenses simples et rapides qui se répètent avec ténacité dans son esprit. Les plus importants chez elle sont les suivants : « Tu dois mourir,… il faut mourir le plus tôt possible », ou bien : « Ne mange pas, tu n’as pas besoin de manger,… ne parle pas, tu n’as pas de voix, tu es paralysée, etc. », commandements néfastes, comme nous le verrons, qu’elle ne répète avec netteté que pendant les crises de nuage, mais qui ont sur le reste de la vie une très grande influence.

Avant d’abandonner l’étude de ces sortes d’idées fixes se présentant par crise, nous devons faire une remarque générale sur leur origine. Presque toutes ces idées, et probablement toutes, si on connaissait mieux la malade, ont leur origine dans quelque souvenir de la vie passée. Ces idées ne me semblent pas être conçues, inventées au moment où elles se formulent maintenant ; elles ne sont que des répétitions. Ainsi la plus importante des hallucinations visuelles, celle qui a tourmenté Marcelle pendant tout l’hiver, n’était que la reproduction exacte d’une scène qui avait eu lieu l’année dernière. Les idées fixes de mourir, de ne pas manger, sont la reproduction de certaines résolutions désespérées prises il y a quelques années. Autrefois ces idées avaient un sens, se rattachaient plus ou moins bien à quelque motif. Un désespoir d’amour avait été la cause de ses tentatives de suicide ; elle refusait de manger pour se laisser mourir de faim, etc. Aujourd’hui ces idées se reproduisent sans lien entre elles et sans raison. Elle a complètementoublié, je m’en suis convaincu, son ancien désespoir et n’a aucune envie de mourir. L’idée du suicide se présente aujourd’hui sans rapport avec, la situation présente et Marcelle se désespère à la pensée de ce suicide qui s’impose à elle comme un reste du passé. Elle ne sait plus pourquoi elle refuse de manger ; les idées de suicide et le refus d’aliments se sont dissociées, l’une existe sans l’autre. Tantôt elle sent la voix qui lui dit : « Ne mange pas », et ne songe pas à mourir ; tantôt elle songe à se tuer et accepte cependant la nourriture. Toujours nous retrouvons dans les idées fixes ce caractère de répétition automatique du passé, sans lien, sans logique actuelle.

Les idées de persécution seraient peut-être plus difficiles à expliquer. Ces idées sont en effet si fréquentes chez tous les individus dont l’esprit est affaibli, que l’on peut se demander si elles n’ont pas quelque raison générale. Faut-il les rattacher à cet égoïsme bien caractéristique des intelligences faibles, à cette hypertrophie du moi dont parlent certains auteurs sans bien l’expliquer ? Faut-il, comme