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Nous avons insisté sur ce phénomène, car il est pour notre étude très important à connaître : c’est lui qui remplit la majeure partie des crises de nuage de Marcelle. Cette malade prétend en effet que pendant le nuage on lui dit une foule de choses, qu’elle a la tête pleine d’idées. Elle exagère un peu, il nous a semblé que ces discours intérieurs si fréquents étaient peu variés et se répétaient rigoureusement les uns les autres, comme les délires d’une crise d’hystérie.

Nous constatons d’abord dans ces discours des idées de persécution assez importantes chez ce genre de malades. Marcelle se répète à elle-même que sa mère lui veut du mal, que ses frères la détestent, que tout le monde lui veut du mal, ou bien que tout le monde la fuit comme la peste, que tout le monde a peur d’elle, etc. Ces idées très monotones ne varient que par la personne désignée. Ainsi, à son entrée à l’hôpital, elle fut très émue quand elle vit M. Falret, qui n’a pas cependant l’air bien méchant, et dans tous ses nuages, elle se répétait : « M. Falret, encore un qui m’en veut, encore un qui m’en veut. » Ces idées de persécution se développent, mais très lentement ; au bout de quelques mois, elle se disait dans ses crises : « Ma mère n’est pas ma mère, mes frères ne sont pas mes frères, je ne suis pas de leur famille,… ils m’ont enfermé pour me dépouiller. » Malgré cette apparence de logique, ces idées de persécution, qui d’ailleurs ne se présentent avec cette netteté que pendant la crise et sous la forme de parole automatique, n’eut aucunement la cohérence et la systématisation qu’elles ont chez les persécutés vrais. Quand elle parle de ces idées pendant le somnambulisme, elle les affirme avec entêtement, mais ne peut aucunement les expliquer. Elle n’invente pas de raison pour expliquer cette haine universelle et elle dit à peu de moments de distance, sans se soucier de la contradiction, « que tout le monde lui en veut dans l’hôpital et que tout le monde est bon pour elle ». Elle ne paraît même pas comprendre elle-même la valeur de ces phrases. « Vous aussi vous m’en voulez, me dit-elle. — Vous croyez que je veux vous faire du mal ? — Non, je sais bien que vous ne le voulez pas. — Vous avez peur de moi ? — Mais non, puisque je viens avec vous toute seule et que cela ne me fait rien. — Alors qu’est-ce que cela veut dire : « vous en vouloir » ? — Je ne sais pas. » Ces idées ne s’accompagnent pendant la crise ni d’orgueil comme chez les persécutés, ni d’humilité comme chez les mélancoliques ; elle constate ce mauvais vouloir universel comme un fait auquel elle ne peut rien, ou plutôt elle ne rattache pas cette idée à l’ensemble de ses autres pensées ; elle subit cette idée comme une chose étrangère, de même que le médium ne s’applique pas à lui-