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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/94

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comme une substance, comme une chose distincte des corps en mouvement, et des corps qui, par leur action, causent le mouvement. Cette soi-disant substance, on la place dans la cause, lorsqu’on cherche à la définir ; lorsqu’on veut la mesurer, on la place dans l’effet ; et bien des philosophes la placent entre la cause et l’effet, dans un espace qui n’est accessible qu’aux métaphysiciens. Il est évidemment inutile de discuter ces opinions contradictoires, mais il est intéressant de chercher à se rendre compte de la manière dont elles s’implantent dans l’esprit. Ce que nous allons dire de la force peut d’ailleurs se dire de la masse, de l’inertie et en général de tous les concepts un peu simples.

Un corps soumis à certaines causes de mouvement prendra, s’il est libre, une certaine accélération ; il aura un mouvement actuel. Mais, toujours dans les mêmes circonstances, c’est-à-dire soumis aux mêmes causes de mouvement, il pourra ne prendre aucun mouvement, si certains corps, dans des conditions analogues, lui sont opposés. Le corps considéré n’est, par conséquent, ni à l’étal de repos puisqu’il est sollicité par une puissance, ni à l’état de mouvement actuel puisque sa position ne change pas. Il est dans un certain état particulier, intimement lié aux concepts d’équilibre et de force. La force suppose dans le fond, non pas un équilibre possible, mais un équilibre réalisé. Il est vrai qu’on parle souvent, qu’on tient compte de la force d’un corps en mouvement ; cette force a même une mesure qui est le produit de la masse par l’accélération, ou encore le quotient du travail par l’espace parcouru. Cependant il est bien clair que tous les mouvements possibles dans l’espace ne peuvent nous donner aucune notion de la force. Si les phénomènes qui ont lieu sous nos yeux ne consistaient qu’en déplacements de corps libres dans l’espace, sans chocs, sans contiguïté de certains de ces corps, nous ne saurions rien de l’inertie, rien de la masse, rien de la force. Des fantômes, des corps matériels ordinaires, des matières semblables à celle du Remora se comporteraient de la même manière, et nous n’aurions aucun moyen de les distinguer. Tout ce que nous pourrions apprendre à connaître, ce seraient les trajectoires, les directions et sens, les vitesses et accélérations, c’est-à-dire les concepts de la cinématique, mais aucun de ceux de la mécanique.

Donc, quand nous parlons de la force d’un corps en mouvement, nous avons en vue, au fond, la force que posséderait ce corps, à l’état, non de mouvement actuel, mais de mouvement potentiel, c’est-à-dire de terme dans un fait d’équilibre ; nous admettons, pour ce corps en mouvement, la possibilité de réaliser cet équilibre, et