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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/95

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g. mouret. — force et masse

nous transportons la force, attribut de cet état d’équilibre du corps, à son état de mouvement, parce que, considérant la force comme une substance, nous ne pouvons admettre qu’elle soit détruite temporairement, qu’elle n’ait qu’une existence discontinue. Nous n’éprouvons aucune difficulté à nous figurer la force présente pendant le mouvement actuel du corps, parce que cette force est pour nous, en vertu de nos tendances réalistes, une chose concrète, une partie du monde extérieure, indépendante du fait d’équilibre qui la révèle à nos sens ou à notre raison. C’est, pour nous, une réalité au même titre que les réalités de la poésie platonicienne, une réalité qui a une existence continue, non pas une réalité qu’on trouve, mais une réalité que l’on retrouve, dans le fait d’équilibre.

Stuart Mill a déjà montré que c’est par le même procédé qu’on attribue une existence continue au monde extérieur ; nos possibilités de sensation sont transformées, ou mieux, symbolisées en une existence continue, et extérieure. (Philosophie d’Hamilton, p. 587-588.)

Il est à peine besoin d’ajouter qu’il n’y a là qu’une fiction, une illusion de l’esprit, que l’existence permanente n’appartient pas au concept, mais au mot qui le représente, et que l’attribut n’existe que lorsque la relation qui lui sert de fondement est réalisée (présentée ou représentée dans l’esprit). Tout esprit qui pense à la force, et non au mot, pense en réalité à un fait d’équilibre, et non au fait du mouvement d’un corps libre. Si, toutefois, nous voulons rappeler le lien qui unit le corps à l’état de mouvement au même corps à l’état d’équilibre, nous pouvons dire que la force est une possibilité d’équilibre.

De même que la masse, la force présente presque immédiatement un caractère quantitatif. Tandis que dans l’équilibre il n’y a aucun degré, et qu’au point de vue de l’équilibre, deux systèmes sont exactement semblables, dans la force nous voyons qu’il est possible d’établir des ressemblances et des différences. Deux corps qui font équilibre à un troisième conserveront ce point de ressemblance, quel que soit le troisième corps, pourvu qu’il fasse équilibre à l’un d’eux. De même si l’un des corps fait équilibre au troisième corps, tandis que l’autre corps est hors d’équilibre, cette différence se maintiendra entre les deux corps, opposés à tout autre corps qui fasse équilibre à l’un d’eux. La force est donc un attribut qui ne dépend que de la nature des corps et de leur accélération, et qui ne dépend pas du terme commun de la relation d’équilibre. On peut déduire de là plusieurs conséquences importantes, mais ce serait empiéter sur l’étude des concepts quantitatifs, et s’écarter du sujet actuel.