Aller au contenu

Page:Richardson - Histoire du chevalier Grundisson, Tome 1, 1763.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
Histoire

pouvoit quelques heures après… comment ai-je pu résister à ces horribles craintes ? D’autres fois, j’ai regardé avec plaisir le seul homme du monde à qui j’aurois pu souhaiter, dans ma disgrace, d’avoir une si sensible obligation. Sa modestie, me disois-je à moi-même, ne me fera point un fardeau de ma reconnoissance. Il n’attache point une trop haute idée au service qu’il m’a rendu ; les grandes, les généreuses actions lui sont familieres. Il pouvoit arriver que j’eusse les mêmes obligations à quelqu’un, qui, par l’état de sa fortune, auroit eu quelque avantage à se promettre du danger auquel il se seroit exposé pour moi, & dont la condition ou le caractere auroit causé de l’embarras à ma reconnoissance.

Mais ici, j’ai le cœur libre. Cependant, me disois-je encore ; Sir Charles Grandisson est un homme, pour lequel je ne dois pas souhaiter de prendre des sentimens trop tendres. Combien de Rivales à soutenir ! Un homme que tout le monde regarde avec admiration ! Un devoir établi, comme sa Sœur me le disoit un jour, qui oblige les femmes d’attendre qu’elles soient prévenues ! Le cœur de Sir Charles doit être à l’épreuve de ces tendres sensations, qui se changent en passion vive & ardente dans le sein d’un homme, pour le premier & le seul objet de son amour. Je mettrois ma tête, chere Lucie, si la vérité pouvoit être connue, que dans le grand nombre de femmes que le ma-