Aller au contenu

Page:Richepin - Mes paradis, 1894, 2e mille.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
350
MES PARADIS

Dis-le ! Ce que tu crois la fin de son martyre,
Envers et contre tous dis-le ! Tu dois le dire.
Voici. Mes vers, ployant leur indocile front
Au joug de la logique étroite, le diront.
Si parfois leur pas traîne à l’allure des proses,
Si la bave en longs fils pend de leurs mufles roses,
Loin de leur en vouloir, pris de pitié pour eux,
Songez qu’ils tirent, dans un sol dur et pierreux
Qui deviendra demain la glèbe ensemencée,
Cette forte charrue au soc lourd, la pensée.
L’idéal de justice auquel vous aspirez,
Hommes, et que moi-même à vos maux empires
J’imagine souvent comme le seul remède,
Cet idéal ayant pour lois : J’aide qui m’aide,
À chacun selon ses mérites, rien de plus,
Cet idéal est faux ; ses décrets absolus
Sont faux. Il veut qu’on ait pour fléau de balance
Un fil de glaive à la pointe d’un fer de lance ;
Mais qui s’en servira ? Quels doigts assez subtils
Doseront la pesée et quels poids prendront-ils ?
Ah ! tout lit de justice est le lit de Procuste.
Pire encor ! Pour que tout fût parfaitement juste,
Pour que par aucun droit nul ne fût limité,
Il faudrait tout réduire à l’immobilité.
Chaque mouvement nuit à tous les autres, certe.
Le moindre geste, fait dans une île déserte,