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Page:Richomme - Contes chinois, précédés d'une Esquisse pittoresque de la Chine, 1844.pdf/171

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— Ce que l’homme sait, reprit gravement l’Empereur, n’est rien en comparaison de ce qu’il ne sait pas. D’ailleurs Koueï a tenu des discours qui ne devaient pas se trouver dans sa bouche. J’ai une extrême aversion pour ceux qui ont une mauvaise langue ; ils sèment la discorde et nuisent aux honnêtes gens. Pourquoi le ministre de la censure publique ne m’en a-t-il pas averti ?

Le mandarin Loung, chargé de ces hautes fonctions, s’empressa de se disculper : Koueï, dit-il, lui était en effet suspect depuis quelque temps, mais on ne pouvait croire à tant d’audace. Les spectateurs de cette scène inattendue étaient stupéfaits. Tous avaient les yeux fixés sur Yu, cherchant à deviner l’opinion particulière du premier ministre et la route qu’il suivrait dans une circonstance aussi délicate. Mais Yu restait impassible. L’Empereur, cependant, affectant une violente colère, poursuivait de ses menaces l’infortuné Koueï, qui était loin de s’attendre à la tempête déchaînée sur sa tête. Le surintendant de la musique jouissait dans tout l’Empire d’une haute réputation, méritée par sa probité et la droiture de son esprit, non moins que par ses talents. L’étonnement des courtisans, en le voyant en butte à la colère de l’Empereur, était fort concevable ; mais la plupart ne cherchèrent même pas à disculper leur collègue, qui pouvait avoir été compromis par d’infâmes dénonciations. Le maître avait parlé : cela suffisait. Alors ce fut à qui jetterait la pierre au mandarin disgracié.

« Koueï est sans doute un homme de talent, disait l’un, mais il est plein d’orgueil ; il ne respecte rien dans ses paroles, pas même la majesté impériale. — Il n’est pas le seul dans l’Empire, ajoutait un autre, qui puisse remplir les fonctions de surintendant. — Sa conduite d’ailleurs est-elle à l’abri du reproche ? — Il est envieux de tout mérite. — Il se croit plus savant en musique que l’illustre Chun. »

Ce dernier reproche était surtout répété avec affectation. On sa-