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Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/17

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LES MENDIANTS DE PARIS

sise seule en un coin obscur, et dans l’attitude d’une douloureuse résignation.

Il se reproche que cette humble créature, qui n’a rien osé demander, n’ait rien reçu de lui. Dans un élan de pitié, il perce le rassemblement, s’approche de la mendiante et jette une pièce d’or dans son tablier.

Cette femme est la pauvre Jeanne, que nous avons vue quitter la troupe mendiante pour aller s’asseoir à l’écart.

Au mouvement du jeune homme, elle tressaille ; son visage s’illumine d’une expression de joie indéfinissable, mais qui doit tenir aux plus profondes émotions de l’âme. Une larme se forme rapidement à sa paupière et roule sur son visage pâle… Puis, par un mouvement dont la vivacité tranche avec cette expression mélancolique, elle saisit la pièce d’or, la baise et la place dans le corsage de sa robe noire.

Herman, surpris et ému, est prêt à adresser quelques paroles de bonté à cette pauvre femme, lorsqu’on vient l’avertir que tout le monde l’attend pour monter en voiture.

Ce faible incident s’est passé en une minute et sans être remarqué de personne.

Le cortège est réuni, et déjà la file des superbes équipages fraie rapidement son sillon au milieu des flots du peuple amassé sur son passage.

Cependant, au péristyle de Saint-Sulpice, les mendiants, tout compte fait de la monnaie qui s’écoule en leurs mains, des chapeaux et des sébiles, sont parfaitement satisfaits de la recette de ce jour. Ils se répètent joyeusement l’un à l’autre :

— Ce soir, au Trou-à-Vin.

Pasqual s’est en même temps approché de Jeanne, et tous deux se disent aussi, mais d’une voix plus basse :

— Ce soir, au Cimetière de Vaugirard.


II

le trou-à-vin

Sur le boulevard d’Enfer, au coin de l’étroite et solitaire rue Lacaille, est une taverne large et basse, à façade vermoulue, lézardée peinte en rouge, marbrée de