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Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/18

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LES MENDIANTS DE PARIS

boue et percée, de quelques fenêtres étroites à petites vitres compactes, à châssis délabrés. Au-dessus-de la porte d’entrée est écrit en lettres difformes :

Au Trou-à-Vin.
Mitouflet, traiteur. Fait noces et festins.

Après avoir franchi la porte d’entrée garnie de l’éternel rideau rouge, on entre dans une première salle ouverte à tout venant ; puis, de là, dans une pièce plus spacieuse, donnant sur la rue déserte du faubourg, pour la satisfaction des buveurs qui désirent continuer leurs libations et leurs bachiques refrains au delà de l’heure sacramentelle de minuit sans être dérangés par la police.

Il est huit heures du soir.

Un certain nombre de mendiants sont attablés dans cette salle. On y retrouve les personnages que nous avons signalés à l’entrée de l’église Saint-Sulpice. Le vieux Corbeau, le donneur d’eau bénite, le philosophe Corbillard, Pasqual, l’un des privilégiés de sa classe, et même le nègre Jupiter, si malmené le matin, mais qui garde sous la paille de son taudis quelques pièces rondes venues d’un temps meilleur, et qui lui servent à payer son écot à chaque partie qui se présente.

Des femmes ont aussi pris place à table. Les plus marquantes de la société sont madame Jacquart, mademoiselle Rose, sa sœur, petite vieille fraîche et avenante, qu’on voit siéger depuis trente ans sous le porche de l’Abbaye-aux-Bois, et la jolie Robinette, l’enfant gâtée de la gent mendiante.

Il n’y a ce soir au Trou-à-Vin que la petite réunion intime de chaque lundi, formée des plus habiles et des plus heureux des pauvres, de ceux qui trouvent encore dans l’aumône un peu de superflu.

Cependant, malgré le petit nombre des assistants, il se rencontre là les divers types de mendiants. Beaucoup d’entre eux sont enfants de la balle et mendient comme mendiaient leurs pères ; d’autres, de bons vivants, qui veulent seulement exister sans rien faire. Quelques-uns sont jetés sur le pavé de la rue par les infirmités ou la perte de leurs biens. Mais la paresse et l’inertie recrutent surtout ces bandes. Il est beaucoup de gens qui, tout en sentant le besoin d’une existence honnête, et même