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LES MENDIANTS DE PARIS

avoir regardé longtemps le fond d’un abîme on s’y précipite ; il lui semble, être emporté dans le tourbillon magnétique.

À chaque minute, Robinette passe devant lui comme un éclair ; il lui semble que c’est avec elle, et la tenant dans ses bras, qu’il se mêle à la danse effrénée.

C’est le moment où la ronde va le plus vite ; il croit que la musique si puissante, l’air si brûlant, l’ivresse si violente l’enlèvent avec la jeune fille, et qu’ils volent ensemble dans le bruit et dans la flamme.

Emportés ainsi tous les deux dans l’espace, la belle bohémienne s’abandonne à lui… En sentant dans ses bras, sur son sein, cette merveilleuse beauté, en effleurant ses cheveux, son front, en aspirant le souffle de ses lèvres, il est saisi d’un amour étrange, fiévreux, insensé… Il vole, il bondit avec elle sans savoir où il va… Il ne voit qu’elle, mais il la voit dans un rayon magique, belle, voluptueuse, séduisante à rendre fou… Dans un élan de passion délirante, il la serre dans ses bras, il penche la tête sur la sienne… approche de ses lèvres et lui donne un baiser…

Mais Herman est éveillé violemment de son rêve.

Un éclat de tonnerre épouvantable retentit dans le ciel et remplit l’étendue ; un sillon de feu éblouissant vient jaillir au milieu du galop infernal.

La toiture, les murailles de la taverne craquent, s’ébranlent et sont remuées jusqu’aux fondements. Les musiciens s’élancent de la table et vont tomber sur les danseurs renversés, un coup de vent furieux s’engouffre dans la salle et brise les quinquets. Leur lumière est remplacée par la lumière vive et effrayante de l’orage ; tous les bruits de l’orgie se taisent et le fracas formidable des nuages enflammés règne seul dans l’enceinte du Trou-à-Vin.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Herman, aveuglé, étourdi par la violence de l’éclair, ne reprit l’usage de ses sens qu’au bout de quelques minutes.

Alors il se trouva seul dans la grande salle bouleversée. Les hôtes de la taverne s’étaient enfuis en désordre du bâtiment ébranlé et se dispersaient dans la ville pour aller regagner leur gîte.