Aller au contenu

Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
les mendiants de la mort

seulement par une claire-voie du sentier à mi-côte qu’il suivait, il reconnut dans cette terre aride la place d’un jardin, qui conservait des traces de sa première destination, mais devait être depuis longtemps abandonné.

Pas une plante n’avait survécu à la privation d’eau et de culture ; on ne voyait plus que ces tristes ronces qui sont le deuil de la terre ; des instruments aratoires, jetés au hasard, étaient, par suite du temps, à demi incrustés dans le sol.

Herman allait dépasser cette partie du rivage, quand il vit un vieillard dont la figure sombre se détachait sur cette nappe de terre jaune et nue.

Cet homme, misérablement vêtu, était assis sur une pierre dans son jardin, où il ne restait plus un rameau d’arbre pour l’abriter. Il se tenait immobile, la tête baissée ; ses longs cheveux blancs cachaient à demi son visage, mais on voyait ses regards décrire un cercle continuel autour de lui, comme lorsque nous contemplons dans une morne douleur le vide que fait autour de nous la perte des êtres aimés.

C’était là, Herman ne pouvait en douter, le vieux jardinier Augeville, dont la raison s’était égarée à la suite de ses malheurs, et qui, après avoir été quelque temps éloigné de son village, était revenu guidé par le seul instinct du cœur à la place où ses enfants avaient autrefois vécu près de lui.

Une cruche de vin et un pain posés par terre, dans un endroit où la claire-voie était rompue, annonçait que maintenant Augeville vivait de la charité des pauvres paysans.

Herman fut saisi d’un frisson douloureux à cette vue… Ainsi, dès son entrée dans le village, un souvenir visible des maux qu’il avait causés venait l’assaillir.

Son premier mouvement le poussa à s’approcher du vieillard pour lui offrir des secours, des consolations… mais il se rejeta vivement en arrière de la balustrade et pressa le pas pour se soustraire à une triste perspective.

— Que pourrais-je offrir à cet homme ? disait-il en marchant, quelques ressources pour vivre ? mais la vie est un malheur pour lui !… Ce serait la raison, ce serait l’existence de ses enfants qu’il faudrait lui rendre… Oh ! nous avons bien plus de puissance pour le mal que pour le bien. Moi, qui ne suis ni méchant ni cruel, j’ai pu en un instant, sans qu’il m’en coûtât aucun effort, perdre l’existence de