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Page:Rodenbach - Le Foyer et les Champs, 1877.djvu/88

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Était-ce un spectre affreux qui le raillait, bourreau !…
Mais non ! c’était Roland, Durandal au fourreau,
Qui revenait vainqueur demander sa compagne
Lui qu’on avait cru mort dans les gorges d’Espagne !…

Au matin le soleil était tout radieux !
C’est comme une ironie implacable des cieux :
Quand le cœur se resserre et que les larmes coulent,
Que les rêves déçus devant la mort s’écroulent,
L’astre allume toujours son rayonnant flambeau,
Calme, comme une lampe au-dessus d’un tombeau !…
Roland morne, blêmi, les paupières gonflées,
S’enfonça dans la sombre épaisseur des vallées,
Fuyant avec l’effroi farouche du voleur,
Pour aller y cacher aux regards son malheur.
Ensuite il arriva sur le sommet tranquille
Dominant Nonnenwerth et le couvent de l’île,
Et comme il exhalait son cri de désespoir,
Il entendit soudain dans les hymnes du soir
Un chant mélodieux flottant vers les nuées.
Les fibres de son âme en furent remuées :
C’étaient les pâles sœurs qui chantaient le salut,
Et dans toutes ces voix du cloître il reconnut
La plus harmonieuse et la plus enflammée
Celle de l’humble enfant qu’il avait tant aimée !
Roland passa la nuit dans un creux du rocher,
Implorant Dieu, buvant ses pleurs, sans se coucher.
Le lendemain, au son des cloches argentines
Les nonnes se levant, chantèrent les matines,