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Page:Rodenbach - Le Foyer et les Champs, 1877.djvu/89

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Et la voix d’Hildegonde au milieu de ce chœur
S’élevant pure et fraîche, atteignait jusqu’au cœur,
Comme une flèche d’or, Roland dans son asile !
La communauté sainte à midi vint dans l’île,
Joyeuse et s’ébattant comme un essaim d’oiseaux.
Une nonne s’assit près des tremblants roseaux
Sous un saule, pensive à voir s’écouler l’onde,
Et sous son voile blanc Roland vit Hildegonde !…

Ô fiancée offerte à l’autel du Seigneur,
Avez-vous pu trouver près de lui le bonheur ?
Et son amour mystique à votre cœur qui brûle
A-t-il versé l’ivresse au fond de la cellule ?
Ne regrettez-vous rien de ce monde si beau,
De ce lit nuptial qui se change en tombeau,
Et de ces chants d’amour que votre lèvre oublie
Pour prier le Seigneur avec mélancolie ?…

Ô priez jeune fille ! ô pleurez chaste sœur !
Les pleurs, fraîche rosée, ont aussi leur douceur
Quand le flot douloureux contre le cœur déferle !
Devant Dieu chaque larme est une sainte perle !…

Roland, pendant six mois, entendit ce doux chant
Dans les feux de l’aurore et l’ombre du couchant.
Fendant six mois, il vit Hildegonde tremblante
S’asseoir plus inclinée et plus hâve et plus lente
Sous le saule-pleureur, dont les cheveux épars,
Comme un manteau de deuil, pendaient de toutes parts.