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Page:Rodenbach - Le Mirage, 1901.djvu/99

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HUGHES.

Oh ! non, je la hais de vraie haine, par moments. Je la hais de tout mon culte avili, de m’avoir fait déchoir vis-à-vis de moi-même. J’étais si haut, dans un si pur rêve, dans une si noble douleur ! J’avais monté jusqu’à la beauté mystique du deuil. C’est elle qui m’a fait tomber. Je sais maintenant, à cause d’elle, qu’on ne peut pas vivre dans l’idéal, que la réalité nous attire comme la terre, qu’elle nous ressaisit, nous prend et nous souille, malgré nous. On ne monte plus haut que pour choir plus bas, plus mal, plus gravement. J’ai voulu planer avec une âme, et j’aboutis à un corps vil. Et, cependant ce corps m’obsède, m’affole de son odeur, m’emprisonne dans son ombre.

JORIS.

Vieille histoire : on veut faire l’ange et on fait la bête.

HUGHES.

Oui ! mais mon supplice, à moi, c’est de faire