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BEETHOVEN

che des chœurs élégiaques de la tragédie grecque : c’est l’harmonieuse grâce, la noblesse naturelle, la perfection de Sophocle et sa sereine mélancolie. Le retour du mineur donne lieu à de prodigieux développements d’un tout autre caractère, sombre, complexe, shakespearien, avec des coups de génie inattendus, des évocations hallucinées. L’élégie devient épopée. On voit déjà, dans les forêts au-dessus du Rhin, sur le bouclier, monter le corps de Siegfried. (Sans Beethoven la scène funèbre de la Gœtterdæmmerung n’eût jamais été.) Et la Coda, dans le pianissimo, est un murmure épuisé, qui sourd du gouffre de la douleur…

Mais retournons au Livre d’esquisses !… Quelle surprise !… Si jamais chant a paru inspiré, si jamais phrase semble arrêtée en ses contours, depuis le premier jet, si une œuvre d’art nous donne l’impression de n’avoir jamais pu être écrite qu’ainsi, non autrement, sans qu’aucun de ses accents, aucune de ses inflexions, puissent être modifiés, car ils font partie d’elle, de toute éternité — c’est le dessin principal de cette Marche funèbre. Or, le Livre nous révèle que Beethoven n’y est parvenu que lentement, péniblement, en suant sang et eau. Le premier dessin est banal et vulgaire.