du morceau ou du genre musical il la trouve dans celles de sa propre passion. Sous sa forme rapsodique, librement récitée, le fameux adagio du Clair de Lune, dont le double chant1 2 déroule sa lassitude sur la monotonie du morne 1. Je n’entends pas du tout, par là, que Beethoven ait improvisé, d’abondance du cœur. Ce grand improvisateur au clavier ne l’était jamais, la plume à la main. (Et, d’ailleurs, même au clavier, il préparait ses procédés d’improvisation : certaines notes de ses Carnets d’esquisses, récemment mises en vente à Berlin, en ont donné les preuves.)
Pour la sonate du Clair de Lune, les esquisses, retrouvées et nouvellement publiées en fac simile, par Schenker, montrent le grand travail auquel il a soumis ses pensées. Il est clair qu’un haut artiste, même emporté par son cœur, sait contrôler son cœur, et en contraint, sous une ferme discipline, les battements déréglés. Mais ce que je veux dire, c’est que les lois qu’il s’impose alors ne sont pas extérieures à l’émotion ; elles sont les lois naturelles du sentiment, dégagées par l’esprit. Et les recherches scientifiques des plus pénétrants esthéticiens d’aujourd’hui — (Cf. Edouard Monod-Herzen : Principes de morphologie, 1926-7) — prouvent que ces lois naturelles sont, à leur source, identiques à celles de l’art le plus pur. Mais, au temps de Beethoven, un génie seul en pouvait avoir l’instinct. L’intelligence et le savoir n’en concevaient pas la parenté, et se refusaient à admettre la légitimité esthétique de lois issues du sentiment direct. Beethoven, lui-même, nous le verrons, après les avoir atteintes, dans une plongée violente de la passion, fut touché par le doute, et revint sur ses pas, à l’esthétique « formelle ». Nous en aurons, plus loin, un exemple frappant, dans le recul (d’ailleurs glorieux) de la seconde à la troisième Ouverture de Leonore.
2. Car la basse aussi est un chant, dont la tristesse profonde ne proteste point, comme l’autre, mais accepte et attend la fin de toute douleur : la pédale de douze mesures, au milieu du morceau, le rythme de marche funèbre sur lequel il conclut, expriment clairement le grand sommeil qui délivre, — le néant,
