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BEETHOVEN

tempérament beethovenien, il le convertit en un élargissement des membres musicaux, qui va enrichir l’art et prêter à ses sonates, comme à ses symphonies, des proportions gigantesques, — sans se départir pourtant de l’harmonie des nombres équilibrés. Et l’unité puissante et massive de sa pensée est constamment corrigée et fertilisée par son pouvoir de sympathie, par son intelligence appliquée à pénétrer les formes des autres pensées, aussi bien dans le commerce des vivants que dans celui des grands morts, dans ses vastes lectures musicales 1, supérieures à celles de tout autre maître musicien, depuis l’âge de J. S. Bach jusqu’à celui de Wagner. 11. Je ne parle point ici des autres lectures — des littéraires. J’y consacrerai un chapitre. — (Je l’ai, en partie, écrit dans le Beethoven Festbuch de Bonn, 1927, sous la dédicace : Fonli Fortitudinis ac Fidei.) — Beethoven a été un liseur passionné, et d’autant plus que la perte de son ouïe lui refusait les joies de la conversation. — Ajoutons que ce malheur ne l’empêcha d’ailleurs point de garder jusqu’à la fin une curiosité brûlante et toujours en éveil, qui réussit à se tenir informée de tous les événements importants d’Europe. La lecture de ses Cahiers de Conversations, à partir de 1819, nous le montrera plus tard. (Cf. ma petite étude, écrite sur les Konversationshefle de 1819- 1820, et publiée dans les numéros Beethoven du Vorwârts et du Semeur, mars 1927.) — Mais pour nous en tenir ici aux lectures spécialement musicales, il disposa de ressources uniques, dont nul autre grand musicien n’eut comme lui les moyens et la volonté d’user : je veux parler de la magnifique bibliothèque de l’archiduc Rodolphe, qui forme aujourd’hui une partie importante du fonds musical de la Nationalbibliotek de Vienne. On n’a pas assez recherché tout ce que Beethoven a dû à ce commerce incessant avec la musique de tous les temps. Il y a baigné, assoupli, renouvelé son dur génie personnel, — ce rocher, — surtout dans la période qui suit la quarantaine, dans sa retraite os soi, pareille à la contemplation des yogi de l’Inde.