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BEETHOVEN

fameuse lettre à Wegeler du 16 novembre 1801 et le tament de Heiligenstadt (6-10 octobre 1802). Elle rappelle les fiers accents de Tune : amour, douleur, combat, exaltation de vivre, indomptable énergie 1. Elle annonce, par éclairs, le sombre héroïsme de 1 autre et ses cris désespérés. Jamais œuvre n’a jailli plus foudroyante du cerveau de Beethoven. Au lieu de ses habituels tâtonnements dans la nuée, la nuée se déchire d’un coup, et l’Idée surgit toute, comme Pallas armée. D’un trait, tout l’essentiel est jeté, les motifs complets du début (largo et allegro), la marche des modulations, les « piliers d’angle », comme dit très justement Nottebohm * 2, et surtout les étonnants récitatifs non accompagnés de la troisième partie du premier morceau, avec les pulsations tragiques et le frisson de fièvre qui y répondent. Qu’on ne nous parle point ici de détachement esthétique, de travail intellectuel, qui laborieusement couve et multiplie (selon le mot du maître de la Schola) des « cellules » musicales ! Ici, tout l’organisme est formé, en naissant, avec son individualité. Dès la première esquisse, le premier morceau de la Sonate est un être vivant, complètement évolué 3.

1 « .. Ein liebes, zaubcrisches Mddchen... die mich liebt und die ich tiebe... Wâre mein Gthür nicht... O, die Welt wollle ich umspannen... ohne dieses Uebcl !... Nichls von Huhel... Ich will dem Schicksal in den Rachcn greifen... O, est isi so schôn, daet Leben tausendmal lebenl... etc. » (Leltre à Wegeler).

2. p. 27 et 28 de la réédition des Deux Livres d’Esquisscs, par Paul Mies, 1924.

3. Pour le dire tout de suite, si, dans la plupart des autres créations beethoveniennes, le fait est moins visible, il n’en existe pas moins