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BEETHOVEN

11 l’avait travaillé longuement, amoureusement 1 ; et il lui fut pénible de s’entendre dire que le morceau était trop développé. À l’ordinaire, il ne s’inquiétait guère d’une telle réflexion : il l’avait prouvé, quand il s’était agi de son immense Héroïque. Mais alors, le géant était si exactement proportionné que le sentiment de l’harmonie avait satisfaction. Il n’en était plus de même pour la sonate ; la rêverie trop distendue finissait par perdre de vue le sujet ; elle ne tenait plus à l’œuvre ; elle n’avait point, comme le futur dessin et les variations de son accompagnement, dont les valeurs passent de la croche à la double et à la triple croche, l’héroïque fanfare de 1 ’andante de la Symphonie en ut mineur. Et la coda a une brusque modulation, de fa majeur en sol bémol mineur, dont la belle ombre mélancolique évoque la Wehmut d’un des lieder à la ferne Gelieble (à la bien-aimée lointaine). — Je n’ai aucun doute que Beethoven n’y ait mis beaucoup de ses sentiments intimes, à cette époque de sa vie. Oserai-je dire que c’est probablement la raison pour laquelle Beethoven l’a sacrifié ? On n’a pas assez remarqué un fait, pourtant extraordinaire : — les grands morceaux lents, où Beethoven versait le plus profond de son cœur, ces adagios et ces largos, qui étaient le joyau de ses vingt premières sonates, et que le public du temps aimait avec prédilection, — disparaissent désormais de ses sonates pour piano. Ou bien il y renonce tout à fait, ou bien il eD restreint extrêmement les proportions, et les réduit au rôle d’introductions, reliées au dernier morceau. Il faudra attendre jusqu’au monumental adagio de l’op. 106, quatorze ans plus tard, pour retrouver, au clavier, ces Soliloques, dont la porte est fermée au monde extérieur. On dirait que Beethoven, dans la maturité de son âge classique, s’est mis en garde contre sa propension naturelle à l’expression sentimentale. De la sonate Aurore à l’op. 106, il réduit au minimum les confidences de ses adagios. La part des deux allégros — et surtout du dernier — en est, d’autant, élargie en étendue et en signification, 1. Cf, Nottebohm : p. 61-63,