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LES GRANDES ÉPOQUES CRÉATRICES

souffle de la mer, — c’est par son inhumanité même, si je puis dire, souveraine. Il n’est même plus question de plaindre l’homme en proie aux forces Océaniques ! L’homme n’est plus qu’un atome. Le créateur s’est réellement identifié avec les lois de la Nature, les puissances élémentaires, contre lesquelles il se débattait dans le premier morceau. C’est là une solution toute nouvelle et presque unique, je crois, dans l’œuvre de Beethoven, qui n’abdique pas aisément les droits de son indomptable moi. 11 fallait qu’il se trouvât dans la plénitude de ses énergies physiques et morales, pour pouvoir s’abstraire ainsi de son propre sort et jouir de la nudité sauvage de la Nature, qui le broie. Ne serait-ce que par le contenu psychique de ce drame intérieur, YAppassionata serait exceptionnelle. Mais elle l’est aussi par l’unicité de la forme, — ce bloc, d’où le marteau des Cvclopes n’arracherait pas un grain, — par cettf tension continue, par cette étreinte logique, par c-e corps athlétique, sans draperies, sans ornements, où tout est muscles et charpente revêtue d’une chair solide et dure, sans trace d’embonpoint, — par ce relief violent sur lequel se projette une lumière d’airain, ces phrases monumentales, ainsi que sur un fronton d’arc une inscription romaine, — ce style essentiel, ce caractère d’éternité. Beethoven a réussi à construire en musique le monument impérissable d’un âge de l’humanité, le type d’art classique où se fixe pour toujours l’harmonie d’une des gtandes heures de l’esprit, l’équilibre parfait entre les forces intérieures, le plein accord de la pensée avec la matière employée et domptée, h’Apoassicnata est digne de prendre