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BEETHOVEN

Mais ce n’est pas à l’heure de la plus haute cime conquise qu’il faut songer à la descente. Si c’est le droit du libre esprit de toujours planer au delà de l’instant présent et de scruter le pli des lèvres du jour qui vient, qu’il laisse au cœur la joie sans rides de prendre à pleine bouche le bonambiante, de tout paysage, et — tel Micliel-Ange, dans ses héroïques étuves — n’a laissé que les grands corps rouges et, nus, et les muscles saillants... Bien mieux ! Les corps ne sont même plus que le réseau tendu des muscles qui les gonflent.. — Mais de quels formidables volts l’appareil est chargé ! Pour n’en avoir pas reçu la secousse électrique, il faut que M. Iialrn soit un bon « isolant » ! Qui a tenté d’exprimer, au clavier, ce premier allegro de Y ut mineur, sait qu’aucune œuvre de Beethoven n’est aussi rude à étreindre : car la dépense d’énergie qu’elle exige est ininterrompue ; la ligne de passion est continue et nue, sans rien, pas un détail, une ombre, un ornement, qui en distraye un moment ! (a) — En ceci, d’ailleurs, le premier allegro de YAppassionata tient une place analogue, parmi les sonates de Beethoven. Mais la ligne est, ici, beaucoup plus belle, abondante et large. Un sang plus riche la baigne.

(a) Je pense à la lettre de Gluck au bailli du Roullet, quand il venait d’achever Alceste (1 juillet 1775) :

«Je deviens presque fou, quand je la parcours. Les nerfs restent trop longtemps tendus, et l’attention est, depuis la première parole, fusques à la dernière, sans relâche, affectée... Il y a un mois quelle ne me laisse plus dormir. Il me semble que j’ai une ruche d’abeilles dans la tête qui bourdonnent continuellement... A présent, je commence à comprendre la finesse de Quinault, de Calzabigi, qui remplissent leur ouvrage de personnages subalternes, pour donner relâche au spectateur, pour pouvoir se mettre dans une situation tranquille. Un opéra semblable n’est pas un divertissement, mais une occupation très sérieuse... » L’Appassionata et le premier allegro de la Symphonie en ut mineur ne comportent pas de « personnages subalternes ». — Non, « ce n’est pas un divertissement ni Et je conçois que l’Europe fourbue d’après guerre n’y trouve pas son compte. La musique de Beethoven est « une occupation très sérieuse. •