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BEETHOVEN

cette étreinte de la pensée ne fut plus violente, plus continue, plus surhumaine[1]. L’idée qu’il tient, Beethoven ne la lâche jamais qu’il ne l’ait possédée. Rien ne le distrait dans la poursuite[2]. Ce n’est pas pour rien que son jeu pianistique est caractérisé par le legato : en quoi il s’oppose au jeu de Mozart, fin, piqué et haché[3], ainsi qu’à celui de tous les pianistes de son temps. Tout est lié dans cette pensée, qui semble pourtant jaillir par coups torrentiels[4]. Il la maîtrise. Il se maîtrise. Il paraît livré au monde par ses passions. Mais, en fait, nul ne peut lire au fond de lui la pensée qui passe. En ces premières années du siècle, Seyfried, qui l’observe de près dans les salons et à la maison, où ils habitent

1. J’oserai dire : plus inhumaine. Prenons-y garde : là est la clef de l’énigme beethovenienne, de son génie, et peut-être bien — oui, je le crois ! — de sa tragédie. Ce n’est pas impunément que la nature est violentée par l’esprit. Si celui-ci lui arrache des secrets, qu’à aucun autre elle n’avait livrés, elle les fait payer. On verra dans ma Note I, à la fin de ce volume, sur la surdité de Beethoven, les rapports directs que j’établis, en tenant compte du diagnostic du Dr Marage, entre cette congestion perpétuelle de la pensée qui se concentre sacs relâche et la catastrophe dont fut frappé l’organisme.

2. Nous reviendrons sur cette a chasse du diable * (ou plutôt du « démon e), aux grandes heures de sa vie.

3. Beethoven, qui avait entendu jouer Mozart, dit à Czemy que Mozart avait » cin peines, aber zerhacktes Spiel, hein Ligato ». Czerny ajoutait que Beethoven était particulièrement admirable dar.3 le leeaio, et qu’il traitait le piano comme l’orgne.

4. A cette vigoureuse tension de la volonté, on doit rattacher l’instinct de l’unité thématique, qui se manifeste dès le Trio de 1791 (révélé par M. Georges de Saint-Foix), et qui gouvernera plusieurs de ses grandes œuvres, entièrement bâties sur un même motif. Nous l’étudierons, par la suite,

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