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LES GRANDES ÉPOQUES CRÉATRICES

guettent ses gaucheries, ses ridicules, ses défaillances et qu’ils ont beau l’aimer — (on connaît ces amis-là !) — du jour au lendemain, ils vous jetteraient par-dessus bord. Notez qu’il ne les a pas ménagés : il ne ménage personne, c’est une impossibilité de nature, il aimerait mieux crever que mâcher la vérité. S’il a des Mécènes dévoués, il a (d’autant plus !) une quantité de jaloux, des ennemis, des rivaux qu’il a blessés mortellement, des virtuoses déconfits, des confrères ulcérés[1], des sots qu’il a dégonflés, et jusqu’aux jeunes artistes qu’il ne cherche pas à flatter. Il est dur pour ceux qui lui exhibent leurs pâles productions. Et il n’a pas l’habileté de se faire une clientèle de disciples aplatis (un ou deux élèves professionnels, tout au plus)[2]. Nul ne fut jamais moins que lui un « cher Maître »…

Il est seul sur la corde tendue ; et, au-dessous, les badauds qui attendent le faux pas. Il ne s’en est pas soucié, tant qu’il se sentait sûr de l’intégrité de son corps. Lui seul contre tous ! Il aime cela, il joue avec le vertige… Mais aujourd’hui qu’il est un grand blessé du destin ?… Imaginez l’homme sur la corde raide, qui est frappé d’éblouissement ! Que va-t-il faire ? Avouer qu’il n’y voit plus clair ? Il serre les dents.

1. Exemple : dans les souvenirs de Ries, le duel bouffon de virtuo ? ec, entre Beethoven et Steibelt. En allant au piano, Beethoven prend sur le pupitre d’un des musiciens qui exécutent le quintette do Steibelt la partie du violoncelle, la met à l’envers, joue avec un doigt un thème burlesque, fabriqué des premières mesures ainsi retournées, et là-dcssus improvise. Steibelt sort indigné et ne lui pardonne jamais.

2. Il eut toujours l’aversion pour le professorat,

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