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LES GRANDES ÉPOQUES CRÉATRICES

et sans avancer, collé à quelque harmonie banale qui l’englue, jusqu’à ce que, soudain, il se trouve libéré du mauvais rêve.


Quant à la seconde partie, — à la fameuse « Durchführung » [1] — qui dira jamais ce qu’elle représente de jours, de nuits, de semaines de bataille ?… C’est qu’il s’agit d’un Austerlitz de la musique, de la conquête d’un empire. Et celui de Beethoven a duré plus longtemps que celui de Napoléon. Aussi a-t-il mis plus de temps à le réaliser : car il était, à lui seul, l’imperator et l’armée.

Rappelons d’abord au lecteur, musicalement non instruit, ce qu’est la Durchführung d’une sonate ou symphonie :

On entend par là « l’Empire du Milieu », — la partie intermédiaire, entre la première exposition des thèmes (avec reprise) et leur retour pour conclure. C’est là que l’imagination créatrice se livre au jeu du travail constructeur sur les motifs donnés, qu’elle transforme et combine, de vingt façons diverses. C’est devenu, depuis l’Héroïque, le lieu même du génie : (le lieu reste, souvent, vide !) Là, il se tient au cœur de son univers de pensée : pareil au Dieu qui prend dans sa main la substance des mondes et va la projeter en des architectures suspendues sur le vide, et mouvantes.

Les précurseurs de Beethoven n’y avaient guère vu

1. La traduction française ordinaire de ce terme consacré est : Développement. Elle me paraît bien pauvre, elle sent son écolier. On verra plus loin sa vraie nature, chez Beethoven.

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