Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

loup. J’ouvre ma ferme aux ventres creux… » Drôle de jeu ! Il eût refait sans hésiter ce qu’il avait fait. Le coup était bon. Mais, à ce jeu, il ne se sentait pas à l’aise.

Il s’en retournait à la maison. En chemin, il rencontra Bette. Il trouva plaisant de lui raconter l’aventure. Il était sûr de ce qui suivrait. Bette en oublia, du coup, ses romantiques idées de révolte antibourgeoise. Son sang de grande épicière lui remonta au front ; et elle cria, indignée :

— « Ah ! non ! Ah ! non !… Ça, c’est trop fort !.. Ça ne se fait pas !… »

Marc lui rit au nez. Elle le quitta, d’un air de majesté offensée.

Il ne reprit point sa faction au magasin. Il n’eut même pas la peine de la refuser. On se débarrassa de lui. Sans qu’on pût articuler aucun grief précis, il s’était rendu suspect. Les chiens avaient flairé dans son poil un relent de la forêt.

Il rentra plus avant encore qu’hier dans la confrérie de la faim. Nulle place, nulle part. Et dans ses poches, plus rien à bazarder. Pour l’achever, un soir, ce qu’il redoutait : il trouva la porte de son logis fermée ; il était expulsé.

Une nuit de fin février, avec des coups de bise qui balayaient le boulevard et des giboulées de neige qui fondait en s’écrasant sur le pavé, il courbait le dos, dans son manteau, tâchant d’offrir le moins de prise à l’assaut ; la tête baissée, il se raidissait. Il était harassé et trempé. Il se disait : — « Je vais tomber… » Il se heurta à une passante. Il ne regarda pas. Une main lui prit le bras. Il se secoua…

— « Rivière !,.. »

La main ne lâchait point. Il leva des yeux égarés… Ruche… Il n’entendit pas ce qu’elle disait, dans le bruit du boulevard et du vent enragé. Elle le tira dans un angle de maison abrité. Il ne sut pas ce qu’elle de-