Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/122

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l’impression d’avoir rencontré, dans une face blême ; un regard préoccupé qui le guettait, une main furtive fermée sur un objet qui s’engouffrait sous une cape… Il s’arracha à l’engourdissement et il fixa, à quelques pas, l’image de femme dont la trace s’était imprimée dans ses yeux las : les bras cachés sous le manteau, il la vit figée devant l’étalage ; il était sûr qu’elle voyait son regard posé sur elle, elle était comme la perdrix que le chien arrête : à l’instant même, là, sous sa robe, venait de disparaître le larcin — quelques tomates. Elle attendait ce qui allait arriver… Il ne le savait pas plus qu’elle. Il vint vers elle. Il était tout près, les bras, aussi, collés au corps. Ils se touchaient presque, et tous deux étaient à peu près de même taille, la bouche de Marc était à hauteur de la joue maigre, où se contractaient les maxillaires ; mais elle ne bougea point. Il fallait pourtant se décider. Il fit effort, il dit d’une voix étranglée :

— « Allons, rendez ! »

Mais à ce moment, il vit, à la porte du magasin, un inspecteur qui les observait. Il se hâta de souffler à la perdrix :

— « Non, ne bougez pas !… On nous guette… »

L’imprudent !… Il se mordit la lèvre… Tant pis ! « Alea jacta… » Il fit quelques pas pour se donner une contenance. Elle paraissait examiner d’autres objets. L’inspecteur rentra dans la boutique. Marc se rapprocha. D’un regard, il parcourut l’échiné maigre, le crâne rond, le museau froncé, chatte affamée. Il lui fourra, d’un geste brusque, sous son châle élimé, trois ou quatre bananes, et il lui dit, sans desserrer les dents :

— « Plus nourrissant !… Prenez, filez ! »

Elle releva la tête et lui lança un regard aigu ; la gratitude était moins forte que la surprise : « — Ah ! tu es donc de la confrérie ?… » On n’avait pas le temps de s’expliquer. Elle disparut dans le flot de la rue… Marc se disait : — « Je suis le chien qui retourne au