Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/228

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Rien ne fut changé, en apparence, dans la situation de Annette, au journal. Elle reprit sa place à sa table, près du bureau de Timon. Mais on ne fut pas long à remarquer le changement de ton et les attentions du patron. Il va sans dire que la bouche blessée avait fait jaser, et sur la nuit au château circulaient des récits fantastiques. Ils n’étaient pas trop d’accord ; mais le fait établi sans conteste, c’est que, dans l’affaire, la femme avait eu le dernier mot… Une rude maligne !… Et comme elle savait cacher son jeu !… Elle gardait son rang, elle affectait le même zèle attentif à exécuter les ordres du patron, ne lui exprimait jamais son opinion en public, avant qu’il la lui eût demandée, et devant un tiers, elle continuait de lui dire : « Vous ». Mais on savait que, la porte fermée, elle le tutoyait et qu’elle avait avec lui des discussions, où Timon avait appris — le plus difficile pour un despote de sa sorte ! — à écouter sans interrompre. On se vengeait de ce pouvoir occulte (dont ils auraient dû pourtant se féliciter, car il avait un effet calmant sur Timon), par des bons mots atroces. Sans les connaître, Annette connaissait assez la malveillance humaine pour s’en douter ; et elle était arrivée à un état de dédain amène, qui l’y rendait indifférente. Ce n’était pas la vertu que Timon prisait