Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/275

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avait fait époque, de Barrés : « Les Déracinés », il fallait substituer celui plus exact de : « Les Désorbités », et que le vrai responsable du désordre était le système, non les outils qu’il avait faussés. Une telle thèse flattait la vanité secrète des bourgeois qui l’écoutaient : ils étaient bien aises de s’attribuer, in petto, le privilège de rester les détenteurs de la raison civilisée. De temps en temps, en parlant, Jean-Casimir promenait son regard froid et fin sur le prétoire, frôlait sans hâte, indifférent, la face grondante de Simon, gonflée de fureur, l’évaluait comme un objet, et retournait à d’autres objets, en achevant de dérouler ses petites phrases impeccables. Un mot flatteur du président et les ondes muettes de la sympathie générale accueillirent la fin du témoignage.

Mais un coup de théâtre se produisit. Le père de l’accusé demandait à être entendu. Bien qu’il eût été convoqué, dans ses Causses, on ne comptait pas beaucoup, le connaissant, que ce cul-terreux s’arrachât à ses champs pierreux pour une besogne aussi ingrate. Il s’était décidé, au dernier moment. On attendait, naturellement, qu’il prît la défense de son fils. Mais avant même que le premier mot fût sorti, toute la salle avait frémi. Les deux hommes — père et fils — étaient dressés, l’un contre l’autre, et, tordant la bouche, se dévisageaient terriblement. Un vent de haine souffla sur toutes les têtes. Dans le silence de mort, après avoir levé la main, prêté serment, le vieux parla.

Il était, comme sa graine, lourd et carré, taillé dans le bloc à coups de hache, le buste épais sur des membres courts, ébranchés ; au bout, vissées, les mains — des pinces ; les pieds, qu’on ne voyait pas, devaient au sol tenir de même. On ne pensait pas à regarder la tête. Elle était un membre, comme les quatre autres. Le bloc cria : (un enrouement et la rage refoulée l’empêchaient de parler à voix posée) :