Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/340

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Depuis qu’elle était sortie, elle se tenait là, dans la nuit, tapie sur son lit, muette, immobile. Elle avait tout entendu, depuis le premier coup sur le mur, qui l’avait fait flamber de colère, jusqu’au premier souffle imperceptible, qui l’avait fait défaillir de douceur. Elle était tour à tour, et par sursauts, presque en même temps, feu et glace, un jet de sang brûlant qui fuse et qu’un coup de piston refoule, et l’insensibilité la plus complète… Elle était résolue à ne pas bouger… Et pourquoi donc ? Que lui coûtait de prendre cet homme, si elle le voulait ? Elle en avait pris d’autres… Mais celui-là, non ! Elle était prise. Et elle ne voulait plus l’être. Elle ne voulait plus se reprendre à l’illusion… Et comme elle aimait vraiment, cette fois — (elle se refusait à le savoir) — elle s’inquiétait, pas seulement d’elle, — de lui, et du mal qu’elle lui ferait. Car elle savait — (ceci, elle consentait à le savoir) — qu’elle n’était pas inoffensive. Qui la prendrait, prendrait, avec le corps, l’âme, l’âme tourmentée, l’âme harassée, l’âme affamée, les pieds talés, brûlants, qui marcheraient jusqu’au dernier souffle, — prendrait le passé, prendrait l’avenir… C’était beaucoup pour les jeunes reins du fiévreux garçon, que dans la nuit elle revoyait et étreignait !… Elle tâtait la souple échine. Elle la sentait, sous sa main, arquée jusqu’à se briser… Elle l’écarte, mais sa main revient Elle ne peut s’en détacher…