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Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 2.djvu/191

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Vous seule estiez mon bien, ma toute, et ma premiere,
Et le serez tous jours : tant la vive lumiere
De voz yeux, bien que morts, me poursuit, dont je voy
Tousjours leur simulachre errer autour de moy.
Puis Amour que je sens par mes veines s’espandre,
Passe dessous la terre, et r’attize la cendre
Qui froide languissoit dessous vostre tombeau,
Pour r’allumer plus vif en mon cœur son flambeau,
Afin que vous soyez ma flame morte et vive,
Et que par le penser en tous lieux je vous suive.
Pourroy-je raconter le mal que je senty,
Oyant vostre trespas ? mon cœur fut converty
En rocher insensible, et mes yeux en fonteines :
Et si bien le regret s’escoula par mes veines,
Que pasmé je me fis la proye du tonnent,
N’ayant que vostre nom pour confort seulement.
Bien que je resistasse, il ne me fut possible
Que mon cœur, de nature à la peine invincible,
Peust cacher sa douleur : car plus il la celoit,
Et plus dessus le front son mal estinceloit.
En fin voyant mon ame extremement attainte,
Je desliay ma bouche, et feis telle complainte :
Ah, faux Monde trompeur, que tu m’as bien deceu !
Amour, tu es enfant : par toy j’avois receu
La divine beauté qui surmontoit l’envie,
Que maugré toy la Mort en ton regne a ravie.
Je desplays à moymesme, et veux quitter le jour,
Puis que je voy la Mort triompher de l’Amour,
Et luy ravir son mieux, sans faire resistance.
Malheureux qui le suit, et vit sous son enfance !
Et toy Ciel, qui te dis le pere des humains,
Tu ne devois tracer un tel corps de tes mains