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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/113

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MIRABEAU.

Quoi qu’on pense d’un pareil trafic, on ne lira jamais assez cette correspondance curieuse. À travers des commérages de gazettes et de ruelles, à côté d’anecdotes scandaleuses qu’on croirait ramassées « dans le bourbier des folliculaires », on trouve, presque à chaque page, des vues politiques d’une incroyable portée dont, aujourd’hui, nous pouvons reconnaître, à nos dépens, la sagacité prophétique. Enfin, par endroits, et au courant de la plume, ce chroniqueur prolixe devient tout à coup un écrivain de premier ordre, un historien profond et concis. Après la mort du Dauphin racontée par Saint-Simon, je ne connais guère rien de plus saisissant que la mort du grand Frédéric racontée par Mirabeau. Ce beau récit tient dans une page. Il se termine par ces lignes curieuses, auxquelles de récentes ingratitudes prêtent un intérêt plus vivant encore : « Les deux tiers de Berlin s’évertuent aujourd’hui à prouver que Frédéric II fut un homme ordinaire, et presque au-dessous des autres…. Oh ! si ces grands yeux qui portaient, au gré de son âme héroïque, la séduction ou la terreur, se rouvraient un instant, auraient-ils le courage de mourir de honte, ces adulateurs imbéciles ? »

Chose étrange ! ce despote si peu regretté de son peuple n’a pas eu d’admirateur plus fervent que ce Français, apôtre fervent de la liberté. Sa grande mémoire si vite oubliée n’a pas eu de courtisan plus fidèle. En 1788, à la veille de la révolution où la monarchie française allait périr, Mirabeau écrivait