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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/133

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MIRABEAU.

broncher, dans un réfectoire de collège, une façon d’oraison funèbre dont il était le Bossuet intrépide et précoce.

Qu’on lise ses écrits, fût-ce ses lettres les plus intimes, ce sont des discours. Les mots tombent de ses lèvres en même temps que de sa plume ; un geste invisible les accompagne. Il a devant lui un auditoire, un adversaire qui le combat ou un ami qui l’applaudit. Si c’est un ami, il le regarde « avec ses yeux couchés » ; il lui sourit ; il lui fait signe qu’ils sont d’accord. — Et, avec « sa voix mielleuse », il lui prend traîtreusement ce que l’autre allait dire ; — si c’est un contradicteur, il l’interrompt, il l’interpelle et le force à se taire. « Silence aux trente voix », dira-t-il plus tard.

La ponctuation même de ses phrases trahit l’homme qui parle en écrivant. Il interroge, il admire, il s’attendrit, il s’indigne : « Ô ma Sophie ! ô mes amis ! ô mon père !… »

Il anime tout, il fait tout vivre. Sous sa plume, tout est mouvement, effet d’audience, rhétorique naturelle et prosopopées. Il crée des personnages et les met en scène. Il invente, sur les événements les plus intimes de sa vie, des dialogues où la vérité se mêle à la fable, sans que lui-même semble s’y retrouver et s’y reconnaître. Il compose pour Mme de Monnier des plaidoyers contre son mari ;… discours, réplique, exordes, péroraisons, tout y est….

À Manosque ou à Marseille, dans la vieille mai-